LES ÉCHANGES |
Termes de proximité : transactions,
prestations, cessions réciproques, intérêts mutuels, dons
et contre dons.
Les échanges nous renvoient à l’art de produire,
de distribuer, de consommer mais aussi de détruire et de gaspiller.
Si l’enjeu du travail et de la technique réside
dans l’échange, celui-ci ne se réduit pas aux choses échangées. On n’échange
pas seulement des objets mais des baisers (spooning!),
des sourires, des services…
Il y a donc dans l’échange à la fois concertation
(accord par exemple sur l’équivalence des biens et des services),
jeu et rivalité.
Problème : quel
est le fondement de ces échanges et que génèrent-ils ?
Le
déchiffrement ethnologique mérite attention et
prend parfois valeur avertissement.
« Jusqu’à
nos jours, l’humanité a rêvé de saisir cet instant fugitif où il fut permis
de croire qu’on pouvait ruser avec la loi de l’échange, gagner sans perdre,
jouir sans partager ».
C’est très précisément dans les mythes que s’exprime
le rejet d’une « douceur,
éternellement déniée à l’homme social, d’un monde où l’on pourrait vivre entre
soi ».
Claude Lévi-Strauss Les structures élémentaires de
la parenté, 1947.
.
I.
SPHÈRE DE L’ARGENT, DES PASSIONS ET DE L’INTÈRÊT
a.
La fin du troc
Aristote,
Ethique
à Nicomaque, IX, 8.
Au «petit négoce», au troc (plus ou moins mythique)
succèdent les marchandises ; la généralisation de la monnaie rend les
choses mesurables, commensurables. La monnaie permettra pratiquement d’établir
une égalité entre des choses dissemblables. La monnaie constitue ce moyen
terme. Elle est le fruit d’une convention.
Aristote
appellera chrématistique, l’art d’acquérir des
richesses.
- c’est-à-dire, tout d’abord, pour répondre à des
besoins naturels. Ceci renvoie «à l’usage propre de la chose»
- pour commercer, ensuite. Activité qui «a pour
fin l’accumulation même». Ce qui est là recherché, ce n’est plus la simple
satisfaction mais l’argent lui-même (le moyen de l’échange).
Le négoce – étymologiquement négation de la chose
– est désormais possible.
b.
Un réexamen des passions est nécessaire
Thèse de Mandeville (1670-1733) :
la prospérité trouve son fondement dans le vice, le jeu exacerbé des passions.
Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique.
Dès que la vertu, instruite par les ruses politiques, eut appris mille heureux
tours de finesse, et qu’elle se fut liée d’amitié avec le vice les plus scélérats
faisaient quelque chose pour le bien commun.
[ …]
Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanité,
cette passion si détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre
encore. L’envie même et l’amour-propre, ministres de l’industrie, faisaient
fleurir les arts et le commerce. Les extravagances dans le manger et dans
la diversité de mets, la somptuosité dans les équipages et dans les ameublements,
malgré leur ridicule, faisaient la meilleure partie du négoce.
[ …]
Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la
faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu
seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse.
Mandeville, La Fable des abeilles ,1714 .
Une remarque toutefois :
bien que contempteur de la nature humaine, «Mandeville a bien senti qu’avec toute
leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la nature
ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison ».
Rousseau, Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes.
II.TROIS GRANDS NIVEAUX
DE COMMUNICATION
Lévi-Strauss,
dans Anthropologie
structurale, 1958 distingue :
· le
système de parenté
La
circulation des personnes au sein des groupes et tout particulièrement
l’échange des femmes dans le mariage, l’exogamie.
· le
système économique
L’échange
de biens et de services.
· le
système linguistique
Le
langage comme ensemble de différences phoniques et conceptuelles.
Le premier système exprime un échange qui porte
à la fois sur les signes et sur les valeurs, le second système porte seulement
sur des valeurs, le troisième système porte sur des signes.
Les
symboles et les signes sont nécessaires pour échanger les biens et les services
et ceci à partir du moment où le système économique se complexifie.
Il existe un système de règles qui détermine
les échanges entre groupes.
Exemple
: comment saisir cet interdit universel qu’est l’inceste* ?
« La prohibition
de l’inceste est moins une règle qui interdit d’épouser mère, sœur ou fille,
qu’une règle qui oblige à donner mère, sœur ou fille à autrui. C’est la règle
du don par excellence ». Lévi-Strauss,
Les structures élémentaires de la parenté,
p.552.
[…]
« la prohibition n’est pas conçue
en tant que telle, c’est-à-dire sous son aspect négatif ; elle n’est que l’envers, ou la contrepartie,
d’une obligation positive, seule vivante et présente à la conscience. Arrive-t-il
qu’un homme couche avec sa sœur ? La question est absurde : Mais
non, bien sûr que non, répondent-ils : « nous ne couchons pas avec
nos sœurs; nous donnons nos sœurs à d’autres hommes, et ces autres hommes
nous donnent leurs sœurs.»
L’ethnologue insiste; mais si cette éventualité se réalisait, par impossible,
que penseriez-vous ? que diriez-vous ? – Si l’un de nous couchait avec sa sœur ?
quelle question ! – Mais supposez que cela se
produise … A la longue, et l’informateur parvenant difficilement à se placer
dans la situation, pour lui à peine concevable, où il devrait discuter avec
un compagnon coupable d’inceste, on obtient cette réponse à l’imaginaire dialogue :
« Quoi donc ! Tu voudrais épouser ta sœur ? Mais qu’est-ce
qui te prends ? Tu ne veux pas avoir de beau-frère ? Tu ne comprends
pas que si tu épouses la sœur d’un autre, et qu’un autre homme épouse ta sœur,
tu auras au moins deux beaux-frères, et que si tu épouses ta propre sœur tu
n’en auras pas du tout ? Et avec qui iras-tu chasser? Avec qui feras-tu
les plantations ? Qui auras-tu à visiter ? »
[…]
« L’inceste est socialement absurde avant d’être moralement
coupable. L’exclamation incrédule arrachée à l’informateur : Tu ne veux donc pas avoir de beau-frère ?
fournit sa règle d’or à l’état de société », pp.555-556.