LESSING,

LAOCOON
ou
Des frontières de la peinture et de la poésie

1766.

http://homepage.mac.com/cparada/GML/Laocoon2.html

 

La représentation des expressions les plus extrêmes n'est pas souhaitable

« S'il est vrai que, surtout dans la pensée des anciens Grecs, le fait de crier dans la souffrance physique n'est pas incompatible avec la grandeur d'âme, ce n'est pas pour exprimer celle-ci que l'artiste s'est abstenu de faire crier sa figure de marbre ; il a dû avoir une autre raison de s'écarter ici* de son rival, le poète, qui exprime ces cris de propos délibéré. » Lessing, Laocoon, p. 57.
*ici : pour ce qui est du Laocoon.

Cette représentation ne doit pas dépasser les limites de l'art

« Il y a des passions et des degrés de passion qui se traduisent sur le visage par de hideuses grimaces, et qui agitent si violemment tout le corps qu'il ne reste rien du beau contour des attitudes tranquilles. Les artistes anciens s'en gardaient avec le plus grand soin, ou les réduisaient à un degré susceptible encore, dans une certaine mesure, de beauté. La fureur et le désespoir ne profanaient aucune de leurs œuvres. Je peux affirmer qu'ils n'ont jamais représenté une Furie.» p. 61, Ibid.

               
La frayeur                                L'horreur 
 Charles Le Brun, L'expression des passions, 1668. 
   

 Application  de ces observations au Laocoon

«L'artiste voulait représenter la beauté la plus grande compatible avec la douleur physique. Celle-ci, dans toute sa violence déformatrice, ne pouvait s'allier avec celle-là. L'artiste était donc obligé de l'amoindrir, de modérer le cri en gémissement, non pas parce que le cri indique une âme basse, mais parce qu'il donne au visage un aspect repoussant. Imaginez Laocoon la bouche béante et jugez. Faites-le crier et vous verrez. C'était une image qui inspirait la compassion parce qu'elle incarnait simultanément la beauté et la douleur ; maintenant c'est une image hideuse, monstrueuse, dont on voudrait détourner son regard parce que la vue de la douleur excite la répugnance sans que la beauté de l'objet souffrant puisse muer cette répugnance en un doux sentiment de compassion.
Une bouche béante est, en peinture, une tache, en sculpture un creux, qui produisent l'effet le plus choquant du monde, sans parler de l'effet repoussant qu'elle donne au reste du visage tordu et grimaçant.» p. 63, Ibid.

   Gravure du XVIème                        Même gravure retouchée


 

L'artiste doit nous permettre de concevoir une durée immuable.

« Si l'artiste ne peut jamais saisir qu'un seul instant de la nature toujours changeante ; si, en outre, le peintre ne peut utiliser qu'un unique point de vue pour saisir cet unique instant ; si, d'autre part, se œuvres sont faites pour être non seulement vues, mais contemplées longuement et souvent, il est alors certain que cet instant et ce point de vue uniques ne sauraient être choisis trop féconds. Or cela seul est fécond qui laisse un champ libre à l'imagination. Plus nous voyons de choses dans une œuvre d'art, plus elle doit faire naître d'idées, plus elle fait naître d'idées, plus nous devons nous figurer y voir de choses. Or, dans le cours d'une passion, l'instant du paroxysme est celui qui jouit le moins de ce privilège. Au-delà, il n'y a plus rien, et présenter aux yeux le degré extrême, c'est lier les ailes à l'imagination. Ne pouvant s'élever au-dessus de l'impression sensible, elle doit se rabattre sur des images plus faibles et craindre de se limiter à ce qui lui apparaît dans la plénitude du visible. Si Laocoon gémit, l'imagination peut l'entendre crier ; mais s'il crie, elle ne peut ni s'élever d'un degré ni descendre d'un degré de cette image sans le voir dans un état plus supportable, donc moins intéressant. Ou elle l'entend seulement gémir, ou elle le voit déjà mort. » p. 67, Ibid.

 


Caravage, La Tête de Méduse, 1590-1600.

http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Cavarage


" Pour ses compositions, qui supposent la simultanéité, la peinture ne peut exploiter qu'un seul moment de l'action et doit par conséquent choisir le plus fécond, celui qui fera le mieux comprendre l'instant qui précède et celui qui suit. De même la poésie, pour ses imitations successives, ne peut exploiter qu'un seul des caractères des corps et doit par conséquent choisir celui qui en éveille l'image la plus suggestive dans un contexte donné.
D'où la règle de l'épithète descriptive unique et de l'économie dans la description des objets corporels. " p. 110, Ibid.
Ut pictura poesis. La poésie est peinture, la peinture est poésie. Adage revisité par Lessing.

La science des proportions est indispensable.
Ci-dessous : Planche extraite de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Proportions de la statue de Laocoon.