MUSIQUES CONTEMPORAINES

ELECTROACOUSTIQUES ET ELECTRONIQUES

Face à l’essor considérable des technologies musicales, plusieurs questions se posent.

Assiste-t-on à un nouveau fétichisme des installations sonores (relayé par l’imagerie du DJ, grand ordonnateur du mix et des consoles)…Est-ce une énième et très ludique mise à l’épreuve de la machinerie informatique ?

Comment, dès lors, dépasser "l’opposition" entre les techniques actuelles et l’instrumentarium des siècles passés ?

Enfin, quel est l’impact de ces nouvelles technologies du son sur la pensée musicale ?

" L’instrument de musique du XIXe siècle était un produit éminent de la pensée musicale de son temps beaucoup plus que de la technique des matériaux ou de la physique des solides. L’instrument de musique était tout entier structuré par les catégories musicales alors disponibles (harmonie, échelle…) et l’on sait combien ces déterminations intrinsèques peuvent aujourd’hui constituer un obstacle à son usage contemporain. Les techniques actuelles de synthèse n’ont pas ces déterminations musicales, à la mesure du fait que la pensée musicale n’a pas été jusqu’à présent en état de les informer en profondeur par l’effet de ses propres catégories. Il faut donc bien constater que ces techniques de synthèse musicale sont pour le moment d’assez sophistiqués transferts de techniques provenant directement de l’industrie, qu’elles relèvent de l’aéronautique, de la robotique ou de l’acoustique sous-marine… " François Nicolas, Pour une intellectualité musicale, Musique Recherche Théorie,

Ircam ( Institut de recherche et coordination acoustique/musique), 1991.

Nous sommes aujourd’hui confrontés, à des processus de création où interviennent des dispositifs techniques, parfois extrêmement sophistiqués. La technologie numérique s’impose de plus en plus et déconcerte. Les sons, en effet, peuvent tournoyer, revenir au point de départ et s’opposer de manière circulaire (récurrente) à des sons beaucoup plus directionnels. Les sons peuvent être compressés, étirés, fluidifiés, s’écouler de manière turbulente ou laminaire…

Des orchestres de hauts-parleurs peuvent être savamment mis en scène… Action déjà réalisée, en 1974, par le compositeur François Bayle avec une œuvre comme Acousmonium. Et, pour un auditoire, cette musique de sons fixés peut surprendre, voire déranger! En effet, la matière sonore active réinvestit, à elle seule, un lieu ; creuse ou dilate l’espace.

 

L’instrument, lui-même, peut intervenir sur les données de la machine. L’instrumental et l’électronique ou l’électroacoustique s’imbriquent alors. En ce sens, l’ordinateur est un atelier de création nous faisant découvrir de nouveaux outils.

A la panoplie des instruments électroacoustiques classiques (ondes Martenot, Theremin, Ondioline, orgue Hammond, Electronium…) viennent s’ajouter les synthétiseurs numériques.

Mais, jusqu’où pouvons-nous mélanger les instruments traditionnels et les instruments virtuels, ceux de la musique informatique ? Cette hybridation peut-elle structurer un nouveau type de pensée ?

" c’est en écoutant le son des enregistrements de Jordi Savall, indépendamment du répertoire interprété, à l’affût des sensations provoquées par les timbres de la famille des violes de gambe captées par des micros révélateurs, que j’ai compris que ces instruments anciens, enterrés par les compositeurs depuis deux siècles, pourraient vraiment stimuler un travail moderne de création musicale, sans référence, à la découverte de nouveaux timbres, modes de jeu, accordés à notre époque. "

Jean-Yves Bosseur, Vocabulaire de la musique contemporaine,(article timbre de Clément Rosset), Ed. Minerve, 1992.

 

Que pouvons-nous, aujourd’hui, envisager ? La synthèse PM (modélisation physique) ouvre de nouveaux horizons en générant d’autres formes d’écoute et de nouveaux espaces sonores.

" Elle permettra aux musiciens de créer les sons d’instruments imaginaires simulés par des logiciels, qui seraient impossibles à fabriquer à cause de certaines limitations d’ordre physique. Entrent dans cette catégorie des instruments fantasmagoriques dont les caractéristiques et la géométrie pourraient changer avec le temps -- tel un violon élastique qui connaîtrait successivement des phases d’expansion et de rétrécissement dans le cours même d’une phrase musicale. " Curtis Roads, Des instruments pour un son organisé, Les cahiers de l’Ircam,1992.

  

Une révolution de notre imaginaire sonore a commencé. Des strates entières du patrimoine musical seront abandonnées ou remises, de manière inédite, en perspective.

Ce qu’annonçait déjà, à sa manière, le philosophe Francis Bacon (1561-1626) :

" Nous faisons toutes les expériences relatives aux sons et à leur génération. Nous avons plusieurs genres d’harmonie et de mélodies qui vous sont inconnus. Par exemple, nous en avons qui marchent par quart de ton et par intervalles encore plus petits, ainsi que différentes sortes d’instruments de musique que vous n’avez pas non plus, et qui rendent des sons beaucoup plus doux que les vôtres : enfin des cloches, des sonnettes et des timbres dont les sons flattent extrêmement l’oreille. Nous produisons à volonté des sons aigus et faibles, ou graves et lumineux ; en un mot, nous les atténuons ou nous les grossissons à notre gré. Nous savons modifier des sons naturellement purs et coulants, de manière qu’ils paraissent comme tremblotants. Nous produisons encore à volonté des sons articulés et toutes les lettres de l’alphabet, soit les consonnes soit les voyelles, que nous imitons, ainsi que les différentes espèces de voix et de chants des animaux terrestres et des oiseaux. Nous avons aussi des instruments pour suppléer à la faiblesse de l’ouïe et pour en étendre la portée, instruments à l’aide desquels on peut entendre les sons les plus faibles venant des objets voisins et ceux qui sont affaiblis par le trop grand éloignement du corps sonore. Nous avons de plus des échos artificiels et très curieux : les uns, produits par des obstacles qui semblent s’envoyer et se renvoyer la voix comme une balle, font entendre le même son un grand nombre de fois, les uns le renforçant et d’autres l’affaiblissant ; d’autres encore le rendent plus sourd, ou plus creux ou plus profond. " La Nouvelle Atlantide.

 

 

# Bibliographie.

- Michel Chion et Guy Reibel, Les Musiques électroniques, INA/GRM, Edisud, 1976.

- Sonic Process, une nouvelle géographie des sons, catalogue de l’exposition, éd. du Centre Pompidou, 312 pages, 1 CD, 45 €.

- Monter-Sampler, l’échantillonnage généralisé, recueil d’articles, éd. Scratch/Centre Pompidou, 162 pages, 25 €.

# Discographie.

# Sites.

Pour tous ceux intéressés par les technologies de pointe !

 

LA MUSIQUE ASSISTEE PAR ORDINATEUR

 

Il y a une dizaine d’années, la puissance de calcul des ordinateurs n’était pas suffisante pour jouer de l’ordinateur en live ( retard MIDI* d’où des problèmes de synchronisation avec les autres instrumentistes).

Langage MIDI : Interface numérique pour instrument de musique.

Pour jouer en live avec un PC, il est nécessaire de posséder une interface MIDI qui peut être un instrument traditionnel doté de capteurs MIDI ou d’une interface de type harpe lumineuse (cf. Jean-Michel Jarre). Le but de cette interface est de transformer le geste en informations numériques exploitables par l’ordinateur. Cette information numérique indique de quelle manière le son doit être joué (attaque, sustain*, vibrato…). Dans ces conditions, l’ordinateur doit être considéré comme un instrument de type traditionnel : "un geste produit un son".

Malheureusement ou heureusement, l’ordinateur présente de multiples faces et peut être un instrument, une table de mixage, un magnétophone (séquenceur),un générateur d’effets, un sampleur ou un synthétiseur ! Toutes ces fonctions peuvent être utilisées simultanément grâce à la puissance des machines actuelles. Ceci explique notamment l’émergence de nombre de home studios. L’ordinateur est, lui-même, capable d’engager un dialogue avec d’autres machines par le biais du langage MIDI.

Actuellement, nombre de musiciens amateurs ou professionnels créent des boucles ou gimmicks pour créer dans leur composition un fond sonore. Des logiciels spécialisés permettent de produire ce genre de boucles, même pour un débutant. Dans ces conditions, lors d’un live, les boucles sont jouées par l’ordinateur. Le musicien à l’aide d’une interface quelconque ne fait donc que donner le signal de départ (en aucun cas, le musicien ne joue à proprement parler).Ils n’utilisent alors que l’une des nombreuses possibilités qu’offre l’outil informatique.

L’une des grandes différences entre ordinateur et instrument conventionnel se situe dans la variété du jeu et donc dans l’expression. S’il est possible d’avoir un son de guitare généré par un ordinateur, il est en revanche quasiment impossible d’obtenir la même sensibilité sonore. En effet, l’instrument réel possède beaucoup trop de nuances dans le jeu, suivant la technique utilisée (picking*, jeu au médiator, notes étouffées, bend*, slide*…). Par contre, un piano virtuel aura un rendu sonore proche de l’original car le piano possède moins de nuances. Ceci explique que nombre de musiciens possèdent des pianos numériques sur scène. C’est un avantage, en termes de transport et de sonorisation.

A notre avis, l’ordinateur ne doit pas être utilisé pour modéliser des instruments réels ou des sons réels mais pour explorer un univers sonore nouveau et impossible à obtenir d’une autre manière (construction d’un instrument). A noter que ces nouveaux sons pourront être obtenus par mixage éventuel d’échantillons réels à des sons de synthèse.

Lors d’un concert, au-delà de la sensation sonore, il faudra être capable de savoir s’il y a un instrumentiste réel ou un déclencheur de séquences de manière à mieux apprécier la technique instrumentale pour les puristes!

 

 

Cyrille Eloire

 

*sustain : tenue dans le temps du son

picking : technique de jeu spécifique

bend : tension sur la corde

slide : glissé sur le manche

gimmick : boucle sonore très répétitive.

Sampleur : à partir d’un son réel, l’ordinateur génère toute la gamme par interpolation numérique

Synthétiseur : les sons produits à partir d’un signal électrique pur (sinusoïde par exemple).

 

 

LA VOIX

 

Très codifiée culturellement, la voix est la manifestation de la parole et du chant. Elle se caractérise par le timbre et requiert, au plan artistique, une exigeante discipline de l’appareil de phonation.

Seule, en effet, une formation vocale intensive permet de développer une musculature laryngée. D’où un gain en timbre et en volume.

Un rappel : les modifications vocales, à l’adolescence, dépendent de facteurs hormonaux. Chez l’adolescent, les cordes vocales s’allongent du tiers de leur longueur (» 1cm). Au registre "de tête" succède la "voix de poitrine" et la tonalité s’abaisse d’un octave environ.

Pour mémoire : au XVIIe et XVIIIe, les castrats étaient des enfants que l’on mutilait sexuellement avant la mue. La croissance du larynx, dépendant de la production de testostérone, était alors stoppée. Le timbre de la voix (voix dite blanche) conservait alors une certaine "ambiguïté" sexuelle.

NB. Farinelli (1705-1782) et Caffarelli (1710-1783) furent deux castrats italiens très célèbres pour leur virtuosité.

Mozart composa plusieurs rôles pour des castrats. Exemples : le motet Exultate Jubilate et Idoménée.

On distingue plusieurs registres vocaux : soprano, mezzo-soprano, contralto, ténor, baryton, basse.

L’étendue vocale se mesure à partir des notes extrêmes que le chanteur peut émettre et travailler.

" En moyenne, la tessiture des chanteurs est la suivante :Femmes Sopranes : do 3 - do 5 Mezzosopranes : la 2 - la 4 " Guy Cornut, La voix, Que sais-je ? N° 627, 1983.

On appelle vocalise, l’exercice du chant. Celui-ci peut s’effectuer sur une ou plusieurs voyelles successivement. Le chanteur (ou la chanteuse) se concentre alors sur la qualité et la régularité de l’émission du son.

Un diapason peut aussi être fort utile. Quelques mots sur cet instrument.

" En 1711, l’anglais John Shore met au point le diapason à fourche, petit instrument d’acier en forme de U dont le son sert de référence aux voix et aux instruments pour s’accorder. " Sylvie Bouissou, Vocabulaire de la musique baroque, Ed. Minerve, 1996.

" Bibliographie :

Sylvie Maury, Les castrats, Que sais-je ? N° 3417, 1998.

Balzac, Sarrasine (histoire d’un sculpteur français amoureux du castrat italien Zambinella).

# Quelques pistes de réflexion :

La voix comme affirmation ou dissolution du soi.

  1. Dans le jansénisme de Port-Royal.

Ce courant de pensée prônera l’effacement du sujet pour mieux renforcer la Gloire de Dieu.

" Sœur Angélique 

Henry de Montherlant, Port-Royal, 1954.

 

  1. Le rapport à la vocalité et le chant Grégorien.

" Solesmes est réputée pour ses voix désincarnées. Or l’Eglise est construite sur le mystère central de l’Incarnation ; la congrégation de Solesmes fondée sur la contemplation de ce mystère. Il faut dépasser cet arrière-fond de jansénisme, qui ne craint pas tant le corps que la séduction de la musique, même s’il est vrai que " carmen " désigne à la fois le chant et le charme. "

Dom Daniel Saulnier, responsable des études de chant grégorien, Le Monde, 16.02.2002.

 

 

Voix et simulacre.

Féminité de la voix et ses effets sur la scène artistique.

" Une profonde et puissante voix d’alto, comme on en entend parfois au théâtre, nous ouvre soudain le rideau sur des possibilités auxquelles nous ne croyons pas d’ordinaire : nous voilà soudain convaincus qu’il peut y avoir quelque part dans le monde des femmes aux âmes sublimes, héroïques et royales, capables de répliques, de décisions et de sacrifices grandioses, prêtes à tout cela, comme prêtes aussi à dominer les hommes et capables d’y parvenir, parce que le meilleur de l’homme, négligeant le sexe, est devenu en elles un idéal vivant. Sans doute ces voix, selon l’intention du théâtre, ne devraient-elles pas donner cette idée-là de la femme : on les emploie en général à traduire l’amour masculin dans les rôles de jeune premier, pour un Roméo par exemple ; mais, si j’en juge d’après mon expérience, le théâtre et le musicien se méprennent régulièrement en attendant de tels effets de telles voix. On ne croit pas à ces amoureux-là : ces voix restent toujours teintées d’une nuance maternelle et domestique, qui n’est précisément jamais plus accusée que quand leur timbre exprime l’amour. "

Nietzsche, Le gai savoir.