VOIX DE LA RENAISSANCE ANGLAISE

ET MUSIQUE ELECTROACOUSTIQUE.

LYCEE LIVET, 7 AVRIL 2003. GRAND AUDITORIUM, 10H10.

 

Deux musiques vont, prochainement, se donner rendez-vous. Deux évènements sonores bien singuliers faits pour nous libérer des ressassements compilés.

Il nous faudra donc oublier -- un court moment -- ce qui a été abondamment repris, ici et là, joué et surjoué… L’effet " tendances " et pirateries de notre temps.

Deux champs d’énergie donc qui font que je m’y jette et résiste ! Mais leur différentiel, est suffisamment réglé pour que je puisse saisir l’attrayante étrangeté de ces musiques et de ces voix. Et ceci sans bruit de fond majeur, sans tiraillement de l’estomac, sans autre chose -- O miracle -- qu’une écoute active et au plus près de soi-même.

Voici en quelques mots ce qui vous sera proposé.

Une musique avec des corps musiciens, bien visibles en tenue de scène, habités par leur partition.

Une musique sans musiciens (avec parfois une chanteuse…). La scène est la salle avec table de mixage, ordinateur et amplis.

Et, la voix est encore là. Celle, fascinante, de la soprano qui s’élève et nous sollicite à deux reprises, sur fond (ou non) d’images insolites.

Plus de quatre siècles séparent ces deux mondes musicaux. Seul, le plaisir les réunit.

 

 

 

 

AVANT-PROPOS

La réalisation de ce document témoigne d’un travail d’équipe. De nombreux contacts eurent lieu avec les artistes, la Direction du Lycée, l’Intendance, les professeurs…

Nous tenons, ici, tout d’abord à remercier l’Ensemble Quod Libet : Emmanuelle Bonneau, Laure Ducos : soprani ; Anne-Claire Brehu, Catherine Eon : alti ; Michel Chatet, Didier Lendrieux : ténors ; Jean-Paul Magouët, Rémy Pailler : basses ; Claude Martinet Direction.

Les Associations Lien Sonore et Musique du passé récent. Arturo Gervasoni, Mario Mary, Ed Bennett, Ricardo Nillni, Octavio Lopez compositeurs.

Anne Magouët, soprano

Laura Nillni, vidéaste.

Nos remerciements à Jean-Paul Magouët et à Jean-Luc Villeneuve pour leurs lectures croisées et leurs précieux remaniements.

Merci également à Rolande Prézélus, Bruno Metz, Jean-Luc Villeneuve pour leur prêt de documents, à Loïc Roselier pour les services reprographiques et à Stéphane Vacelet pour l’insert graphique.

Un double remerciement à Cyrille Grégoire pour le texte indiqué ci-dessus et pour la prise de son qu’il assurera le jour du concert.

Nous n’oublierons pas Jean-François Lemarié et Alain Pons pour leur compétence dans la capture et la mise en forme des images.

Cette Rencontre musicale témoigne de la volonté d’ouverture culturelle du Lycée. Elle ouvre une programmation en trois temps que vous découvrirez sous peu.

Dans cette perspective où l’effort intellectuel requis se conjugue au plaisir, les Proviseurs, M.Guyonnet, Mme Molinaro, M.Pignon nous ont beaucoup aidés. Nous les remercions vivement.

Enfin, un tout dernier et grand remerciement à M.Lozac’h, rompu aux plus difficiles exercices budgétaires.

Ce document --indispensable pour préparer cette rencontre-- est, avant tout, offert aux élèves des classes suivantes : TS 1 TS2 TS3 TAA TGC3 2AA. Il permettra de poursuivre une réflexion sur l’Art et ceci dans le cadre d’un programme.

Nous pourrons alors, le 7 avril prochain, pénétrer dans le monde singulièrement vivant de la musique.

Claude Briantais

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

Voix de la Renaissance anglaise et Musique électroacoustique.

La Renaissance anglaise, quelques repères politiques, religieux et musicaux.

Musiques contemporaines électroacoustiques et électroniques.

La musique assistée par ordinateur.

La voix

 

Textes de Claude Briantais et de Cyrille Eloire.

 

LA RENAISSANCE ANGLAISE.

QUELQUES REPERES

POLITIQUES,RELIGIEUX ET ARTISTIQUES.

1.VIE POLITIQUE.

! ELISABETH 1ère : 1533-1603. Elle exerça un long règne (1558-1603).

Souveraine énergique et autoritaire, elle dota l’Angleterre d’une religion d’Etat, l’anglicanisme. Son premier geste fut de rétablir l’Eglise d’Angleterre dans toute son autonomie (1559). Elle rencontra l’opposition des puritains et des catholiques mais sa volonté d’unité nationale, la fit se montrer tolérante.

Si Elisabeth 1ère fit décapiter la protectrice des catholiques, sa cousine Marie Stuart, en 1587, ce fut plus pour supprimer une prétendante au trône (elle n’avait pas d’enfant) que pour persécuter les catholiques.

Cette exécution déclencha les hostilités entre l’Angleterre et l’Espagne. La défaite de l’Invincible Armada, en 1588, eut pour effet de consacrer la suprématie maritime de l’Angleterre et d’encourager son expansionnisme.

La stabilité politique et religieuse ainsi que l’essor du commerce maritime et la richesse qui s’ensuivit ont été des facteurs déterminants dans l’épanouissement de l’âge d’or élisabéthain.

 

Elisabeth 1re Jacques 1er

! JACQUES 1er : 1566-1625. Il hérita, en 1603, de la couronne d’Angleterre.

Adversaire des catholiques, il échappa à la conspiration des Poudres (1605) ; persécuteur des puritains, il accéléra ainsi leur émigration vers l’Amérique.

 

! CHARLES 1er : 1600-1649. Il régna de 1625à 1649. C’est pour des raisons financières et fiscales que Charles 1er entra en conflit, en 1642, avec le Parlement. Eclata alors la guerre civile entre les partisans du Roi et l’armée du Parlement, qui s’allia aux Ecossais.

Charles 1er se rendit aux Ecossais, qui le livrèrent au Parlement. Son évasion, en 1647, provoqua une seconde guerre civile. Condamné à mort par un Parlement épuré, Charles 1er fut décapité en 1649.

En 1638, les Ecossais presbytériens donnèrent un coup d’arrêt définitif au désir d’imposer l’anglicanisme en Ecosse. Celui-ci n’étant pas assez protestant pour les presbytériens. 

Trois grands traits caractérisent cette période de l’histoire anglaise :

  1. La position insulaire est habilement valorisée.
  2. L’institution parlementaire s’affirme.
  3. Avec l’anglicanisme, un nouvel esprit religieux voit le jour.

La croissance économique s’explique par :

L’appât du gain est réhabilité. Le mercantilisme triomphe grâce à de nombreuses mesures protectionnistes. Un exemple : le monopole commercial attribué à la Compagnie des Indes Orientales (fondée en 1600).

2.VIE RELIGIEUSE.

Afin de mieux cerner les relations entre la musique et le pouvoir, quelques éclairages préalables sont indispensables.

Le pouvoir royal intervient par le biais du Parlement, et parfois de manière assez autoritaire, dans les grandes controverses religieuses.

! Au début du règne d’Elisabeth, les revenus de plus en plus importants de l’Eglise et le comportement de certains ecclésiastiques suscitent mépris et jalousie.

Sous l’influence d’Erasme, de Thomas More et des humanistes d’Oxford des idées réformatrices commencent à circuler. Une relecture de la Bible est engagée.

NB. T. More publie, en 1516, l’Utopie. L’auteur y décrit un Etat insulaire idéal où coexistent athées et représentants de plusieurs religions.

Plusieurs dates présentent, ici, un intérêt :

Les dogmes de la tradition catholique sont, toutefois, en grande partie conservés. Succédant à Marie Tudor la Sanglante, Elisabeth 1ère va progressivement rompre avec la puissance papale. La Réforme anglicane se met en place.

" tout ce qui concerne le purgatoire, les indulgences, le culte et l’adoration des images et des reliques, l’invocation des saints est une invention frivole ; seuls le baptême et la Cène sont des sacrements ; la transsubstantiation ne peut être démontrée par l’Ecriture. D’autre part, prêtres et évêques ne sont plus tenus au célibat. " Roland Marx, Histoire du Royaume-Uni,1967.

Mais les tensions religieuses subsistent, voire s’amplifient.

! Sous Jacques 1er , le complot des Poudres, fomenté en 1605 envenime la situation (deux jésuites y sont mêlés !).

" Le Parlement de 1606 vote deux Actes : le premier oblige les catholiques non plus seulement à assister aux services, mais à communier selon les rites anglicans ; le second prévoit des récompenses pour les dénonciateurs de comportements non conformistes, exclut les catholiques de la profession judiciaire et de toute fonction publique, leur interdit de venir à Londres s’ils n’y résident pas en permanence, leur impose des passeports pour quitter leur lieu de résidence habituel. "Ibid.

L’Eglise anglicane prend également un certain nombre de mesures contre les puritains. Les sermons deviennent de plus en plus normatifs.

" on impose sous peine d’amendes, la fréquentation dominicale de l’église paroissiale à tous les fidèles valides. On condamne avec sévérité les suspects d’hérésie. "Ibid. 

Les puritains quittent alors le royaume pour la Hollande ou les colonies.

Une remarque : cette opposition puritaine est assez présente dans les classes moyennes des grandes villes. Londres, entre autres.

! Après l’exécution de Charles 1er, les groupes religieux prolifèrent : millénaristes, quakers…L’anglicanisme est fragilisé. Il retrouvera sa vigueur à la fin du XVIIème. Mais ceci aux détriment des catholiques.

Jacques Callot (1592-1635), Grandes Misères de la guerre

3.VIE ARTISTIQUE A LONDRES.

Londres est une ville assez insalubre mais en plein développement. La population passe de 100000 habitants en 1558 à 200000 habitants en 1603, puis à 500000 habitants environ à la fin du XVIIème (malgré la terrible épidémie de peste de 1665).

C’est ce Londres populeux de la première moitié du XVIIème, où mendiants et indigents croisent les plus riches marchands, qu’Edward Marston fait revivre dans un de ses derniers ouvrages.

" Les crimes et les délits florissaient chaque jour et certaines parties de Londres, redoutées par les autorités, dissimulaient des confréries entières de voleurs, de prostituées, d’escrocs, de mendiants et d’hommes sans foi ni loi. Les estropiés, les vagabonds et les anciens soudards grossissaient les rangs de ceux dont le crime était le gagne-pain. Ces hôtes des bas-fonds étaient un perpétuel tourment, mais les citoyens ordinaires pouvaient également provoquer de sérieux problèmes. Beaucoup saisissaient l’occasion des jours chômés pour se livrer à des émeutes et des excès. L’anonymat de la foule abritait les scélérats du châtiment, tout en les poussant à troubler sans vergogne l’ordre public. "

Edward Marston, Les Neuf Géants, 1991.

 

LE THEATRE.

On mentionnera Marlowe (1564-1593) pour sa puissance tragique et, bien sûr, Shakespeare (1564-1616).

Observateur avisé des mœurs de son temps, les formes de ses pièces sont très diverses (comédies et tragédies et genres intermédiaires, en vers comme en prose). Le dramaturge et acteur itinérant est déjà célèbre !

Shakespeare

http: // www.online-literature.com/ shakespeare

Un pied là, un pied ici,

Légèrement, en cadence,

Que de ces espiègles esprits

Votre refrain soit la danse !

Acte I, scène 2

" Tiens, qu’avons-nous là ? Est-ce un poisson, est-ce un homme, est-ce du vivant ou du mort ? Un poisson, car cela sent le poisson. Une odeur de poisson bien rance. Une sorte de merluche du genre il y a plus frais. Serai-je en Angleterre, comme cela m’est arrivé une fois, et que je fasse seulement mettre ce poisson en peinture à l’huile, il n’y aurait pas un brave idiot à se promener le dimanche qui ne m’allongerait sa pièce d’argent. Là-bas ce monstre vous ferait vivre son homme ; et c’est que la bête la plus bizarre peut y passer pour un homme. Ils ne se fendraient pas d’un liard pour un estropié qui mendie, mais ils en sortiraient dix pour voir un mort si c’est un Indien… Il a des jambes comme un être humain, et ses nageoires sont comme des bras ! Et il est chaud, ma parole ! J’abandonne mon hypothèse, la laisse choir. Ce n’est pas un poisson, ceci, mais un insulaire, qui vient d’être frappé par la foudre. (Tonnerre) Hélas, l’orage qui recommence ! "  

Acte II, scène 2

Shakespeare, La Tempête, 1611 (première représentation).

LA MUSIQUE ANGLICANE.

Elle se caractérise par sa diversité et des œuvres de haute facture. Parmi les grands compositeurs illustrant cette période, citons : Thomas Tallis, William Byrd, Orlando Gibbons, John Bull, John Dowland.

 

! THOMAS TALLIS : (v.1505-1585). Ce compositeur anglais séjourna dans plusieurs monastères jusqu’à la dissolution de 1540. Il devint alors le principal organiste de la Chapelle Royale.

Il composa pour l’Eglise réformée d’Angleterre sous Edouard VI (1547-53) selon le rite catholique avec Marie Tudor (1553-1558) et de nouveau pour la religion réformée à l’accession au trône de la reine Elisabeth (1558-1603).

Parmi les plus remarquables de ses œuvres, citons les deux Lamentations of Jeremiah et le motet* à 40 voix Spem in alium, destiné probablement à célébrer le 40e anniversaire de la reine.

*motet : pièce de musique destinée à l’église et composée sur des paroles latines qui ne font pas partie de l’office.

Tallis qui fut un des premiers musiciens à écrire pour la liturgie nouvelle, composa également des " services ", des psaumes (en prose et en vers) et une dizaine d’anthems*.

* anthem : hymne religieux. L’anthem est l’équivalent anglais du motet.

Ces œuvres révèlent généralement une réserve et une poésie qui en font les compositions les plus durables du XVIème siècle.

CD recommandé : Music by Thomas Tallis, Ars Nova, Kontra ounkt.

! WILLIAM BYRD : (vers 1540-1623). Compositeur, organiste à 20 ans de la cathédrale de Lincoln et nommé en 1570 " gentleman " de la Chapelle Royale. Charge d’organiste qu’il partagera avec Thomas Tallis.

Les deux compositeurs surent établir entre eux des liens d’amitié et d’affaires.En 1575, la reine Elisabeth leur accorda pour 21 ans le monopole de l’impression et de l’édition musicales en Angleterre. Leur première publication fut un recueil de Cantiones sacrae (Londres 1575), renfermant 34 motets latins à 5 et 6 voix dédiés à la Reine.

Les rapports étroits que William Byrd entretint avec l’édition musicale fournissent peut-être l’explication de sa position avancée : il fut le premier compositeur anglais à contribuer aux recueils de madrigaux*(toute famille noble aimait en posséder un ou deux exemplaires).

* madrigal : chant polyphonique avec ou sans accompagnement instrumental selon les époques.

Sa musique chorale religieuse très expressive est intimement liée au texte et à sa fonction liturgique. Byrd fut également un grand compositeur de musique profane. Domaine, dans lequel il crée un art extrêmement subtil de la variation.

Parmi ses élèves figurent quelques-uns des meilleurs compositeurs de la génération suivante, … Orlando Gibbons, John Bull. Rien d’étonnant à ce que ses contemporains l’aient nommé " Father of Musick ". Cette vénération explique sans doute qu’il ait été préservé des persécutions que la plupart de ses coreligionnaires catholiques durent supporter.

CD recommandé : John come kiss me now William Byrd virginal music by Andreas Staier. TeldecClassics.

 

" ORLANDO GIBBONS : (Oxford 1583 - Canterbury 1627). Compositeur mais aussi " l’interprète aux doigts les plus déliés de son époque ", Musicien de la Cour du roi James et du prince Charles, organiste de l’Abbaye de Westminster et de la Chapelle Royale. Bénéficiant de la munificence royale, Jacques 1er le gratifia généreusement.

Œuvres : deux séries de Preces and psalms ; 2 services ; une quarantaine d’anthems ; une vingtaine de madrigaux ; de nombreuses pièces pour virginal*

ou orgue (fantaisies, préludes, airs, danses, masques, variations, In nomine) ; des fantaisies et des danses pour ensemble de cordes.

* Virginal : instrument à clavier simple (à cordes pincées) encore appelé épinette.

Célébré de son vivant pour ses qualités d’exécutant, Orlando Gibbons a cependant donné des preuves de sa maîtrise dans la plupart des genres musicaux de l’Angleterre de son temps (madrigaux, motets, pièces instrumentales).

Depuis sa mort, sa réputation repose surtout sur ses compositions sacrées : musique religieuse, destinée tout entière au culte anglican.

On peut apprécier O.Gibbons pour sa polyphonie austère et/ou pour son côté plus léger. Ce dernier s’exprime, par exemple, dans les Cries of London, œuvre plus élaborée que les Cris de Paris de Janequin puisqu’elle superpose les appels traditionnels à une mélodie grégorienne (In nomine).

3 CD recommandés : go from my window (série de fantaisies pour six violes, trois pièces pour voix solo et viole) ; Royal fantasies METCD 1033 ; Crye METCD 1020.

Source : Dictionnaire de la musique, Ed. Bordas et fascicules CD.

William Byrd

Orlando Gibbons

NB. La fraise est à la mode ! Collerette de linon, de batiste ou de dentelle rigidifiée par des baguettes d’os, d’ivoire, de bois ou d’acier. Certaines fraises mesuraient presque un mètre de diamètre… Sous le règne de Jacques 1er , la fraise ne diminua pas de largeur mais retombait sur la poitrine et les épaules.