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Betty venait de ranger sa bicyclette dans la cabane et s’apprêtait à fermer la porte quand il y eut dans son dos un bruit étrange, à la fois fort et étouffé, qui s’apparentait à la chute d’un corps ou d’un objet. Elle s’immobilisa, persuadée que les deux frères étaient là, de retour. La peur l’empêchait de bouger, de se retourner. Dans le silence qui suivit, elle perçut avec netteté le souffle d’une respiration. Un souffle oppressé et qui s’accentua. Betty, maintenant, savait : il y avait quelqu’un derrière elle. Elle se retourna d’un bond, les poings serrés, sûre de se retrouver face aux deux frères. Et recula, stupéfaite.
A demi accroupi sur le tas de feuilles mortes se tenait un homme qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle identifia à cause de son uniforme : comme tous les malades de l’hôpital, il portait un pantalon et une veste en épaisse toile bleu foncé. Il la fixait avec une frayeur telle que Betty tenta un pas vers lui pour le rassurer. L’homme, de plus en plus effrayé, se ramassa sur lui-même dans un grand froissement de feuilles mortes. Betty se mit à penser très vite. Et comprit. L’homme qui se trouvait là était un malade en fuite. Par des moyens qu’elle ne connaissait pas, il était parvenu à escalader le mur de l’enceinte et avait atterri de l’autre côté, sur le gros tas de feuilles mortes.
La cloche de la chapelle sonne la demie de cinq heures. Bientôt ce serait l’heure du dîner pour les malades. Des infirmiers se mettraient à la recherche des retardataires. On s’apercevrait alors que quelqu’un manquait. Betty se décida. Une décision brutale, irrémédiable, et que, tout au long de sa vie, jamais elle ne pourrait s’expliquer.
— Viens, dit-elle.