LES MÉNINES


LA REPRÉSENTATION MISE EN SCÈNE

 

http://artquizz.free.fr/meninas_fr_rev.htm

Musée du Prado, Velázquez, 1656 (318 X 276 cm)

L'infante Margarita Maria est entourée de ses demoiselles d'honneur et bouffons (les nains Maribárbola et Nicolasito). Le peintre Vélasquez est en train de peindre un modèle curieusement invisible. Seul, un miroir placé au fond de l'atelier nous renvoie, de manière décalée, l'image d'un couple (celui des souverains, Philippe IV et la Reine Mariana). Où se trouve donc, en réalité, le tableau? Pourquoi nous invite-t-il à interroger l'insaissisable?

Exercice : Reconstruire la scène qui s'offrirait à l'observateur hypothétiquement confondu avec le personnage qui se trouve dans l'encadrement de la porte tout au fond.

Comment verrait-on l'ensemble des personnages? Qu'est-ce qui pourrait toutefois échapper à notre vision...

Documents ci-joints

 

Problème : Comment la représentation est-elle produite, organisée ? Quelles en sont les limites ?

Repérages : au second plan, un pâle reflet –celui du miroir – introduit ceux qui sont représentés (le Roi et la Reine).

Ce reflet échappe au regard des personnages du tableau. La position, légèrement décentrée, du miroir désigne une absence, un vide dans la figuration.


"Il restitue comme par enchantement ce qui manque à chaque regard : à celui du peintre, le modèle qui recopie là-bas sur le tableau son double représenté ; à celui du roi, son portrait qui s’achève sur le versant de la toile qu’il ne peut percevoir d’où il est ; à celui du spectateur, le centre réel de la scène, dont il a pris la place comme par effraction. "

Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966.

Tout est mis en œuvre pour que l’objet et le sujet de la représentation se confondent.

Ingénieux dispositif où la représentation rayonne, se donne à voir, à travers ce qui manque.La place du Roi est aussi celle du peintre. Ces deux places sont totalement remplies par celle du spectateur.La souveraineté du modèle, indirectement, s’estompe alors. L’espace même de cette représentation nous sollicite et nous déroute. La représentation devient spectacle. Le visiteur au fond, sur le seuil, est en position de spectateur.

Le tableau n’est plus là pour dispenser un enseignement mythologique, religieux ou politique. Il indique (de manière oblique) que l’homme n’est plus seulement ce sujet qui recourt aux savoirs mais qu’il est sur le point de devenir, lui-même, l’objet d’une science.


Nous ne pouvons pas nous introduire dans la surface de la toile (celle qui fait face au peintre).

Nous ne pouvons pas, non plus, avoir accès directement au modèle.

Nous ne pouvons pas, enfin, contourner les différents personnages qui sont face au modèle pour saisir la totalité du spectacle représenté.

Impossible donc d’avoir une représentation unifiée :

- de l’œuvre en train de se faire (Velázquez représentant le couple royal)

- du modèle

- du spectacle de la représentation

Conclusion : La représentation est, certes, mise en scène mais l’acte même de représentation ne peut être représenté. Impossible d’en restituer la dynamique.


Rappel des différents éléments en jeu :

· la production d’une représentation (non représentée)

· le modèle à représenter (partiellement accessible mais comme par accident par la présence d’un miroir)

· le spectacle de cette représentation (le visiteur n’est, au fond, qu’un simple personnage peint par Velázquez; la figuration d'un retrait, d'une mise à distance)

· la fonction spectatrice reste hors champ (elle ne saurait être représentée).


Le sujet (ici, le spectateur) est confiné dans "un angle mort". Paradoxalement celui-ci va devenir, dans le cours de ce XVII ème siècle, l’objet d’un savoir.

Sujet pris dans les rets du discours scientifique et désormais surexposé.

 

 

1.Cf. les Ménines de Picasso, 1957 ( 44 variations des Ménines dont une partie se trouve aujourd'hui au Musée Picasso, à Barcelone).

« Supposons que l’on veuille copier Les Ménines purement et simplement, il arriverait un moment, si c’était moi qui entreprenait ce travail, où je me dirais : qu’est-ce que cela donnerait si je mettais ce personnage-là un peu plus à droite ou un peu plus à gauche ? Et j’essaierais de le faire, à ma manière, sans plus me préoccuper de Vélasquez. Cette tentative m’amènerait certainement à modifier la lumière ou à la disposer autrement, du fait que j’aurais changé un personnage de place. Ainsi, peu à peu, j’arriverais à faire un tableau, Les Ménines, qui, pour un peintre spécialiste de la copie, serait détestable ; ce ne seraient pas Les Ménines telles qu’elles apparaissent pour lui sur la toile de Vélasquez ; ce seraient mes Ménines.» Picasso.

Picasso, dans ces variations, creuse notre regard. Dans cette confrontation avec les œuvres du passé se dégagent de nouveaux pans d'interprétation. Ceux-ci sont les témoins de secrets ébranlements ; les miroirs de faille de la peinture.

2.Cf. Les travaux de Braun Vega, 1968.