LE JUGEMENT ESTHÉTIQUE

 

I. IL EXISTE PLUSIEURS GENRES DE SATISFACTION

Nous prendrons, ici, en compte trois grandes catégories : l’agréable, le bien, le beau. Nous examinerons comment chaque mode de représentation désigne un rapport particulier à l’objet.

Trois types de jugements doivent être soigneusement distingués : le jugement d’agrément, le jugement de connaissance et le jugement de goût (ou jugement esthétique).

 

A. LE JUGEMENT D’AGRÉMENT

L’agréable désigne un intérêt sensible, un goût des sens.

" Ce qui me fait plaisir " : ce qui intéresse ma nature sensible, ce qui présuppose ou produit un besoin, ce qui suscite un désir.

Cette satisfaction se rapporte aux inclinations subjectives (très variables d’un sujet à l’autre).

" Cela m’est agréable" : je signifie, par là, une impression sensible personnelle et particulière.

L’agréable vaut pour les animaux et pour les hommes.

Lorsque nous disons " à chacun son goût !", nous reconnaissons l’aspect arbitraire et strictement individuel de l’agréable.

Ce principe, en ce sens, est tout à fait recevable. Il relève d’un mode bien personnel d’appropriation et de consommation.

Important : le plaisir est directement lié, ici, à l’existence de l’objet.

Exemples :

B. LE JUGEMENT DE CONNAISSANCE

Ce jugement de connaissance peut être théorique ou pratique.

Dans le premier cas, il s’agit d’un jugement logique, réglé par des concepts et qui relève donc de la raison démonstrative. Le jugement porte, ici, sur le bien ( le bon) ou encore le vrai.

Dans le second, ce que nous jugeons utile nous procure une satisfaction pratique." Ce que j’estime" : c’est-à-dire ce à quoi j’attribue une valeur objective.

Cette satisfaction intéresse ma nature raisonnable.

"J’approuve cette action" : je signifie, par là, que cette action intéresse ma nature morale. Le sentiment de respect ,effectivement communiqué, indique que des valeurs sont reconnues et partagées.

Le bien – le bon – valent pour tout être raisonnable (être dont la volonté est déterminée par la raison).

Important : la satisfaction est directement liée, là encore, à l’existence de l’objet.

Exemples : un acte héroïque, une bienveillante attention.

C. LE JUGEMENT DE GOÛT

Ce jugement est encore appelé jugement esthétique ou contemplatif. C’est un jugement de sentiment.

Le beau induit une satisfaction désintéressée et libre (non contrainte). Il n’y a pas, ici, la moindre finalité utilitaire. Aucun intérêt sensible ou rationnel ne force l’assentiment.

- Dans le ravissement, la contemplation esthétique la plus élevée, nous sommes délivrés de tout désir.

- Quand je dis "c’est beau", je signifie que ceci me plaît simplement, immédiatement. Il ne s’agit pas d’un jugement de connaissance réglé par des concepts.

- Le jugement n’a pas, non plus, des concepts pour fin.

Le beau ne vaut que pour les hommes.

Important : le jugement de goût est totalement indifférent à l’existence de l’objet.

Le beau n’est pas dans l’objet mais dans la réaction que suscite la représentation de l’objet. Ce qui doit être pris en compte, c’est le rapport de la personne à la représentation de l’objet.

Dire "ce tableau me plaît" signifie que je m’attache exclusivement à sa composition, à son jeu de formes et de couleurs. C’est en tant que tel qu’il me plaît et non relativement à la vie des personnages, des animaux ou des choses qu’il re- présente. Mon attention est retenue par une pure représentation.

Dans l’expérience esthétique (la contemplation de telle ou telle œuvre d’art), la satisfaction est déterminée par cette seule représentation. A charge pour la cons cience de saisir la manière dont elle est affectée.

La valeur d’une œuvre ne se démontre donc pas, ne fait pas appel à des raisonnements, à une logique.

Le jugement de goût présente un caractère universel. Il peut devenir une source de plaisir pour n’importe quel homme et prétendre à l’assentiment de tous.

Il y a dans ce jugement une validité intersubjective. On attribue aux autres la possibilité de ressentir la même satisfaction. Aussi demandons- nous l’adhésion de tous à notre jugement. Ceci revient à dire que la subjectivité du goût peut, en droit (et non en fait) être unanimement partagée. Ce qui vaut pour un seul ne veut rien. Dire " c’est beau pour moi" (sous entendu "pour moi seul") n’est pas recevable.

La libre activité des facultés de l’esprit est à l’origine de ce jugement de goût. Ce plaisir désintéressé généré par le beau ne s’enracine pas dans le désir mais dans le libre jeu de l’entendement et de l’imagination.

En effet, seule la libre combinaison des idées et des images nous procure ce plaisir. Dans l’art, l’entendement travaille au profit de l’imagination (dans le domaine de la connaissance, le processus s’inverse).  

Conclusion : " le beau est ce qui est représenté sans concept comme objet d’une satisfaction universelle ". Cf. Kant, Critique de la faculté de juger, 1790.

Récapitulatif 

On distinguera :

a. L’agréable

Le jugement d’agrément : ce qui manifeste un intérêt sensible, traduit un besoin, un désir.

b. Le bien (le bon), le vrai ; l’utile 

Le jugement de connaissance théorique ou pratique : ce qui manifeste un intérêt rationnel et objectif , reflète une volonté raisonnable.

c. Le beau

Le jugement esthétique : ce qui est dégagé de tout intérêt sensible ou rationnel, fait intervenir la libre activité de l’entendement et de l’imagination.

II. UN AUTRE JUGEMENT ESTHÉTIQUE : LE SUBLIME

Il s’agit d’un jugement à travers lequel nous appréhendons ce qui est absolument grand .

Exemples : le déchaînement des océans , le sommet enneigé des montagnes , l’éruption des volcans…Objets dont la grandeur ne peut être saisie par addition des parties.

L’admiration , mais aussi l’effroi participent du sublime.

Le sublime exprime le sentiment de l’infini (d’une absence de forme , de limite). Dans l’expérience du sublime , nous découvrons une indétermination de la raison , une extension de nos propres facultés vers l’intelligible.

Remarque : dans le premier jugement esthétique précédemment défini, celui du beau , il y a développement harmonieux de l’entendement et de l’imagination. Mais , dans le second, celui portant sur le sublime , la raison entre en conflit avec l’imagination.

Exercice :

Comparons : Nicolas Poussin, L'hiver ou le déluge  :  / Chasseurs d'orages (1)  : Chasseurs d'orages (2)  :