LE DESIR

 

 

I. INTRODUCTION.

 

Le désir désigne communément un manque, une privation; ce qu’il faut combler.

® une incomplétude

Cf. le mythe d’Aristophane exprime la nostalgie d’une plénitude originelle.

                    

         

D’où cette tension de l’être pour satisfaire les désirs, les assouvir ou pour s’en

délivrer. Ceux-ci, en effet, s’opposent à la paix de l’âme, à la sérénité.

Cf. l’ataraxie chez les philosophes Stoïciens ( A à Z  p.36).   

Cf. les désirs contre-nature (déréglés) surgissant dans le sommeil.

 

Platon : «  –    Mais enfin, demanda-t-il, quels sont ces désirs dont tu parles ?

- Ceux qui s’éveillent pendant le sommeil, répondis-je, quand la partie de l’âme qui est raisonnable, douce et faite pour commander à l’autre, est endormie, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée d’aliments ou de boisson, se démène, et, repoussant le sommeil, cherche à se donner carrière et cherche à satisfaire ses appétits. Tu sais qu’en cet état, elle ose tout, comme si elle était détachée et débarrassée de toute pudeur et de toute raison ; elle n’hésite pas à essayer en pensée de violer sa mère ou tout autre, quel qu’il soit, homme, dieu, animal ; il n’est ni meurtre dont elle ne se souille, ni aliment dont elle ne s’abstienne ; bref, il n’est de folie ni d’impudeur qu’elle s’interdise ».

                                                                        La République, Livre IX.

* C’est nous qui soulignons.      

 

 

 

On prendra, ici, en compte, la division tripartite de l’âme.

1.Une partie raisonnable (le logos).  2.Une partie irréfléchie (le désir). 3. Une partie impétueuse (la colère).

 

Accomplir tous ses désirs ne signifie pas, loin s’en faut, accéder au bonheur. Ne faut-il pas désirer de manière éclairée…

® avec discernement, prudence

® savoir vouloir

Autrement dit, ne pas désirer plus que l’on peut.

 

Problème : ou bien nous tentons de donner libre cours à tous nos désirs ou bien nous essayons d’en régler l’usage ?

Enjeu : au cœur du désir, se dessine notre rencontre avec autrui.

® si le désir est affirmation de soi, la construction de notre propre existence exige cependant que nous reconnaissons l’autre dans son égale liberté.

 

II. L’AMBIGUITE DU DESIR.

Ne pas confondre :

 

a)    besoin et désir.

 

Le besoin exprime une nécessité vitale, un fait biologique. Il peut, ordinairement

être satisfait (les besoins naturels étant en nombre limité).

Pour Rousseau, multiplier ces besoins, au-delà du strict nécessaire physique, constitue une imprudence. En augmentant leur nombre, nous devenons dépendants et nous nous dénaturons.

 

Pénurie / Matérialité renvoyant à la Nature ; à la sphère du besoin.

Manque / Spiritualité renvoyant à l’Histoire ; à la sphère du désir.

                  

Le désir n’a pas d’objet qui lui soit, par avance assigné. Compte tenu de son   indétermination foncière, le désir est capable de s’investir sur plusieurs objets. L’objet du désir est sans cesse déplacé.       

® Le désir renaît sans cesse à travers un nombre illimité d’objets.

Une conséquence : «L’illusion cesse où commence la jouissance». J.J Rousseau.

 

b)    désirer et vouloir.

 

Antérieurement à toute réflexion, le désir traduit l’expression d’un manque. L’imagination, ici, joue un rôle central dans la poursuite de l’objet. L’être est tendu vers ce qu’il imagine être une source de satisfaction. Le jaillissement d’images entretient ce désir.    

Vouloir indique un choix, une libre disposition de ses actes. Il y a mise en œuvre

par notre libre-arbitre* de moyens en vue d’une fin. Ce qui est visé l’est ration-nellement.

*libre arbitre : ® A à Z   p.260

 

c)     désir et instinct.

 

Le désir renvoie à la plasticité des pulsions.

L’instinct désigne des comportements préformés.

Þ Dans le désir, ce n’est pas l’objet lui-même qui est visé. Le désir se nourrit, avant tout, des signes dont l’objet est le support.

 

 

III. UNE DOUBLE APPROCHE.

 

a)    Se dégager du « bourbier sensible ».

 

Problème : comment se libérer du monde sensible (c’est-à-dire du monde du devenir, du monde changeant et instable des sens) pour accéder au monde éternel et stable des Idées ?

Par une suite de gradations, de degrés successifs, il nous faudra passer de la beauté physique à la beauté morale puis de celle-ci à la beauté des connaissances. Enfin, de cette dernière au Beau absolu.

Ceci exige une initiation préalable et une intervention d’Eros. Car pour avoir accès à ce monde lumineux des Essences (à l’être même des choses), il faut savoir aimer pour être aimé des Dieux.

 

Le jour où naquit Aphrodite, les Dieux banquetaient. Poros, enivré de nectar, pénètre alors dans le jardin de Zeus et s’y endort. Penia, l’ayant suivi du regard, le rejoint, s’étend près de lui et, obtient ce qu’elle avait projeté. Eros (l’amour) est le fruit de leur rencontre.

 

Penia représente le dénuement, la pauvreté ; Poros désigne celui qui sait se sortir d’affaire.                                                                                                       

       

Eros est un intermédiaire entre les mortels et les Dieux, un démon capable de répondre à notre aspiration au Beau et au Bien.

Par sa nature démonique, il n’est ni savant ni ignorant ; il est philosophe, guetteur de beauté, révélateur de la beauté véritable. Ce que vise Eros, à travers le désir d’immortalité, c’est « la possession perpétuelle de la beauté ».

Deux principaux moyens assurent cette montée progressive vers l’intelligible pur : la procréation selon les corps et la création selon l’âme.

 

Chez Platon, le désir est toujours défini à partir d’un idéal dont il serait le manque. Le désir n’est pas de nature purement divine (rappel : l’âme a été précipitée dans le corps et, celui-ci n’est qu’un sépulcre de passage).

Cf. La théorie de la réminiscence. Connaître : c’est re-connaître. ® A à Z p.385

L’existence – et la conscience – d’un bien qui nous manque est à l’origine du désir.

Conclusion : toutes les choses que nous désirons sont désirées parce que nous les jugeons bonnes.

® le désir se règle sur la valeur

® le désir se subordonne à la valeur de la chose désirée.  

 

b)    Recourir à une morale provisoire.

Chez Descartes, une morale provisoire signifie une morale par provision. Une morale qui nous propose, sans plus tarder, des règles de conduite. La vie, en effet, nous presse d’agir. Nous ne pouvons demeurer irrésolus. Même si nous ne disposons pas encore d’une morale basée sur des règles entièrement justifiées par la raison, fixons quelques principes.

La troisième maxime de cette morale est la suivante :

 

« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune*, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible ».

                                                                  Discours de la Méthode, 3ème partie.

 

* Nous soulignons

*la fortune : puissance censée distribuer le bonheur ou le malheur sans règle apparente.

 

On retrouve, ici, de manière indirecte un ancien principe stoïcien : ne désirer jamais que ce que nous pouvons. Il convient donc de considérer attentivement tout ce qui n’est pas en notre pouvoir.

Une justification : la volonté nous incline à désirer ceci et cela que dans la mesure où notre entendement lui accorde.

La raison prévalant, nous pouvons de manière volontaire maîtriser nos désirs, leur donner forme.  

® adaptons nos désirs à la réalité et non l’inverse

® faisons de nécessité vertu (réussissons à faire d’une chose qui nous est imposée une occasion de mérite et de vertu).

Finalité de cette entreprise : le plus grand nombre de ces désirs étant satisfait, nous pouvons dès lors être heureux.