VALIDITÉ DE NOS RAISONNEMENTS

 

Problème : qu’en est-il de la pertinence de nos représentations ? Quels critères retenir pour parvenir au vrai ?


Définitions préliminaires :


La raison :
c'est la faculté des principes, la faculté d’ordre qui nous permet de tendre à l’universel.


La logique :
science démonstrative ; science des formes valides de raisonnement.



La démonstration :
raisonnement consistant à passer de propositions admises à une proposition en résultant nécessairement.

Ex : le modèle syllogistique d’Aristote (articulation de deux prémisses – la majeure et la mineure – à une conclusion)

 

Cf. la logique formelle : science qui étudie la validité de certaines opérations de l’esprit (la forme même des raisonnements) indépendamment de leur contenu. La validité formelle d’une proposition est à distinguer de la vérité de son contenu. Le contenu initial peut disparaître (les concepts être indéfiniment interchangeables) seul prévaut la schématisation symbolique, « moule à raisonnements » *

Exemple : Tout f est g ; x est f ; donc x est g

 

N.B. Ne pas confondre le raisonnement démonstratif utilisé en mathématique et en logique et le raisonnement expérimental dans le domaine des faits physiques permettant d’établir les lois de la nature.

 


1. L’opposition à la scolastique


Rappel : le projet cartésien consiste à édifier à partir d’un nombre réduit de préceptes une méthode nous permettant de nous conduire dans notre existence de manière assurée. Il s’agit donc de lever les incertitudes et le doute afin de cheminer de façon ferme et résolue.

Mais passer des évidences premières (de vérités immédiatement saisissables) à des déductions progressives présuppose  que nous suivions, à l’instar de Descartes, avec le plus grand soin « ces longues chaînes de raisons ».

On réexaminera avec profit les quatre préceptes de la méthode (règles : de l’évidence, de l’analyse, de l’ordre, du dénombrement).

Un certain nombre de propositions par leur évidence indubitable présentent un caractère intuitif. Nous y adhérons sans nous engager dans une démonstration, un travail discursif (c'est-à-dire un discours raisonné) qui viendrait les justifier.

Mais est-il possible de tout définir ? De tout déterminer ?

Il existe une limite : le risque d’une régression à l’infini.

« Cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu’on voudrait définir en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu’on voudrait prouver en supposeraient d’autres qui les précédassent : et ainsi il est clair qu’on n’arriverait jamais aux premières »

Pascal, De l’esprit géométrique, 1658.

Remonter la chaîne des déductions, revient inévitablement à rencontrer de l’indémontrable.

 


2. Une défiance  continue vis-à-vis de l’artifice des syllogismes


Critique de Leibniz : le syllogisme n’est pas le modèle absolu de la démonstration.
 

« Inférer est tirer une proposition comme véritable, en supposant une certaine connexion d’idées moyennes ; par exemple, de ce que les hommes seront punis en l’autre monde on inférera qu’ils se peuvent déterminer ici eux-mêmes. En voici la liaison : Les hommes seront punis et Dieu est celui qui punit ; donc la punition est juste ; donc le puni est coupable ; donc il aurait pu faire autrement ; donc il [y] a liberté en lui ; donc enfin il a la puissance de se déterminer. La liaison se voit mieux ici que s’il y avait cinq ou six syllogismes embrouillés, où les idées seraient transposées, répétées et enchâssées dans les formes artificielles. Il s’agit de savoir quelle connexion a une idée moyenne avec les extrêmes dans le syllogisme : mais c’est ce que nul syllogisme ne peut montrer. C’est l’esprit qui peut apercevoir ces idées placées ainsi par une espèce de juxtaposition, et cela par sa propre vue »

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, 1704.

 

 


3. La démonstration se distingue de la preuve


Cette dernière vient éventuellement étayer par déduction telle ou telle partie d’un raisonnement, elle n’est qu’un moment dans le déploiement de celui-ci.

 

Exemple : la démarche propre à l'enquête policière. L'objectif consistant à établir un faisceau de probabilités .

« Une tache de bougie peut-être accidentelle. Deux passe encore ! Mais quand je n’en compte pas moins de cinq, je pense qu’il y a de fortes chances pour que le propriétaire du chapeau sur lequel je les relève se serve fréquemment d’une bougie…et je l’imagine, montant l’escalier, son bougeoir d’une main et son chapeau de l’autre. Autant que je sache, le gaz ne fait pas de taches de bougie ! »

Conan Doyle, Quatre aventures de Sherlock Holmes, 1892. 

 

La démonstration s’appuie sur l’inférence, le passage rigoureux et cohérent (exempt de contradiction) d’une idée à l’autre. Dire : cette fenêtre est ouverte et elle est fermée. Ces deux propositions s’excluent réciproquement ; elles ne peuvent pas être vraies en même temps !

 


4. Ne pas confondre non plus argumenter et démontrer


L’argumentation s’attache à la recherche du consensus, de l’accord entre les différents interlocuteurs. Argumenter ne signifie pas, au terme du discours, avoir accès à des éléments totalement indiscutables. On peut tenter de justifier tel ou tel choix politique mais il serait vain de vouloir en démontrer le bien-fondé. La logique démonstrative possède ses propres limites.

L’argumentation peut, d’autre part, viser dans certaines situations à persuader en s’appuyant sur la seule rhétorique (l’éloquence oratoire, la controverse, l’art sophistique).

La démonstration nous donne, au contraire, un ensemble de garanties ayant force de conviction. Nous pouvons alors à partir d’idée(s) reconnue(s) comme vraie(s) —  les prémisses— dégager des conséquences.

Note :

Le paralogisme : type de raisonnement fallacieux qui révèle un excès dans le formalisme logique.

Exemples :

a) Ce qui est rare est cher. Un cheval bon marché est rare. Donc un cheval bon marché est cher.

b) Tous les hommes sont frères. Or, tous les frères ont les mêmes parents ; donc tous les hommes ont les mêmes parents.

* Robert Blanché, Introduction à la logique contemporaine, 1957.