LA CONSCIENCE
NIETZSCHE, "PHILOSOPHE DU SOUPÇON"*
La conscience (dans le champ de la réflexion
philosophique) est souvent appréhendée comme conscience autonome, indépendante.
Elle apparaît comme intériorité radicale et saisie immédiate de soi-même.
Cf.
Descartes : « Il n’y a rien qui ne soit en notre pouvoir que nos
pensées ».
Mais
jusqu’où peut-on aller dans la démarche introspective ? La conscience
est-elle totalement constitutive du sujet ? Représente-t-elle tout le
continent psychique ?
Nietzsche
entreprendra un travail de démystification.
Est-ce bien "je"
qui pense ?
TEXTE
DE NIETZSCHE PROPOSÉ À LA RÉFLEXION
DANS LA RUBRIQUE TEXTES (mise en ligne fin octobre 2004)
Thèse : quelque chose
pense.
1. Constat : des pensées peuvent survenir sans que je les
aie voulues
Analyse :
a. Ceci contredit la croyance selon laquelle
les pensées résultent de l’activité même du sujet conscient. Etat où la
conscience réfléchie et responsable essaye de dominer le vécu, de se donner une
représentation objective de soi-même et du monde.
Or si "quelque chose pense", ce
quelque chose n’est pas pour autant le "je".
b. Critique de cette thèse
L’idée que quelque chose pense n’exprime
aucunement le mouvement réel de la pensée.
Il s’agit déjà d’une interprétation.
c. Origine de cette thèse
Celle-ci prend naissance dans la
grammaire. Il y a là, un passage abusif du sujet grammatical à l’idée d’un
sujet réel.
d. De manière analogue on retrouve ce type
de raisonnement dans le matérialisme de l’Antiquité.
Aujourd’hui, l’étude scientifique des
forces ne suppose plus l’existence d’une substance servant de "force
agissante".
2. Un travail de désacralisation
Il
ne s’agit plus de diviniser la conscience. La conscience n’est qu’une infime
partie de la pensée (un épiphénomène) formulable seulement dans le langage par
le truchement de la logique.
La
conscience, en cela, peut être opposée à la vie. Elle n’en reflète tout au plus
que les aspects superficiels.
Pour Nietzsche, la pensée inconsciente du corps est la
pensée première, la partie profonde, « toutes les formations organiques
participant au penser, au sentir, au vouloir ».
L’âme
ou la conscience ne peuvent donc prévaloir.
« Le
conscient est […] ce qu’il y a dans ce système organique de moins achevé et de
moins fort […].
Si
le lien conservateur des instincts n’était pas infiniment plus puissant,
l’humanité périrait […] par sa conscience ». Nietzsche, Le gai savoir.
3. Conséquences
La
conception ordinaire de la conscience morale est dès lors remise en question.
Celle-ci n’a plus de valeur absolue.
La
conscience morale, cette voix intérieure qui oblige ou interdit ; cette
voix infaillible ("instinct divin" selon Rousseau) n’est qu’une
croyance.
La
conscience n’est pas innée. Elle a une
genèse, une histoire. Elle s’enracine dans nos instincts
et dans nos expériences.
Si
l’on s’en tient trop souvent à cette conscience morale, c’est par simple esprit
de soumission.
Qu’entendre
alors par "mauvaise conscience" ? Sinon ce que l’organisation
sociale, les forces répressives (principalement religieuses) ont édifié «pour
se protéger contre les vieux instincts de liberté ».
Mauvaise
conscience qui a rendu l’homme « malade de lui-même » nous dit
Nietzsche.
En
suspectant la morale, Nietzsche cherche à en connaître l’origine : il
s’emploie à en dresser la généalogie.
* Pour Freud – autre philosophe du soupçon – l’inconscient
est une hypothèse à la fois nécessaire et légitime. Freud démontrera que la
vie psychique n’ est pas réductible aux interprétations
conscientes et rationnelles.