LA CONSCIENCE

Introduction

La conscience rend possible un travail de mise à distance. C'est une activité réflexive qui permet de saisir notre propre rapport au monde en nous disposant à la mémoire et à l'anticipation. Ce travail "d'arrachement" à soi-même désigne à la fois un pouvoir d'interrogation et une puissance de choix. Sans conscience, nous ne pourrions faire l'expérience de l'intelligible, nous ne pourrions éprouver notre identité.
Si notre identité s'enracine dans une subjectivité constituante, nous ne pouvons pas cependant réduire la vie psychique aux seuls phénomènes conscients. Il existe une partie immergée: l'inconscient. Celui-ci peut se manifester dans les rêves ou encore à travers les lapsus.

Problème: la conscience en tant que capacité de représentation nous permet-elle d'avoir accès au moi, à notre singularité? Est-elle au fondement de toute connaissance ou bien, dans certains cas, fait-elle obstacle à cette connaissance?
Ce retour critique sur soi-même est indissociable de l'exercice du doute. Nous essaierons, ici, de suivre le cheminement de Descartes. Moment philosophique important où se dessine une philosophie du sujet.
Postulat de Descartes: il existe une primauté de la raison. L'esprit humain possède des principes indépendants de l'expérience. La raison est innée, universelle,“toute entière en un chacun”, immuable (elle ne peut être modifiée par le temps, l'histoire). Peut-on, pour autant, en faire le guide de nos actions?

1. Une démarche intellectualiste

Le Discours de la méthode, 1637, a pour objet de bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Cet ouvrage est suivi de trois essais — La Dioptrique, Les Météores, La Géométrie — qui illustrent cette méthode.
Descartes remet en question ce qu'il a appris (ce qui lui a été transmis de manière scolastique).
Un premier constat: l'homme est faillible, sujet à l'erreur. Nos sens, en effet, sont trompeurs. Nous ne pouvons entièrement nous fiés à l'expérience sensible. Et, sur un plan intellectuel force est de constater que nous faisons de faux raisonnements, des paralogismes (des raisonnements qui n'ont que l'apparence du vrai).

Voir à la rubrique Textes du Sommaire (Série S) :
-Texte de Descartes extrait du Discours de la méthode.    :
-Texte de Descartes extrait des Méditations métaphysiques.    :

Quel fondement donc donner à nos connaissances? Quel cheminement suivre pour que ces connaissances soient “claires et assurées”, indubitables? De quoi pouvons-nous être certains?

2. Le recours cartésien au doute méthodique

Rappel: "il vaut mieux ne jamais chercher la vérité que de le faire sans méthode". Descartes.

Point de départ: considérer comme faux ce qui n'est que douteux. Plus, donner au doute son extension maximale. Douter même du probable et admettre seulement ce qui est totalement assuré.

Exemples:
-présentement, ne sommes-nous pas en train de rêver?
-n'existe-t-il pas une puissance trompeuse, un Malin Génie qui agit à notre insu et qui met “son industrie” à nous tromper en toutes choses?

La quatrième partie du Discours de la méthode, nous montre ainsi l'omniprésence de l'illusion, du leurre, de la fiction.

Mais si tout est posé comme douteux, je ne peux cependant douter que je doute. Nous retrouvons cette idée dans les Méditations métaphysiques, 1641 : que ce Malin Génie me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose”.
Autrement dit, ma pensée résiste au doute et si je pense, je suis. L'acte de douter me conduit à penser que j'existe. L'opération de penser m'assure de mon existence. Le Cogito ergo sum se dévoile alors comme première vérité accessible. Il s'agit d'une vérité exemplaire car elle se manifeste par sa clarté et sa distinction.
La clarté d'une idée indique que les différents éléments qui la constituent sont perçus immédiatement et sa distinction, qu'elle ne peut être confondue avec une autre.
Une règle générale peut alors être établie: “toutes les choses que nous concevons fort clairement et distinctement, sont toutes vraies”. Troisième Méditation.

Remarque: cette puissance de l'évidence ne peut être garantie que par la véracité divine

De manière indirecte, Descartes établit un parallèle entre l'ordre de la pensée et l'ordre des choses. L'objectif de sa démarche est de pouvoir — ne l'oublions pas — saisir l'organisation originelle de la nature.
Le Cogito ergo sum est le fondement et le modèle de toute connaissance vraie, une première vérité ne pouvant en aucun cas résulter d'un syllogisme. Le Cogito est une saisie immédiate, intuitive; un acte instantané de la pensée. Il désigne fondamentalement, la saisie d'une unité: celle d'un “ je suis, j'existe”. Méditations métaphysiques.
L'accès à ce premier principe philosophique, amène Descartes à suspendre l'exercice du doute. Ce dernier présente donc trois caractères: il est volontaire (délibéré), hyperbolique (radical et absolu) et provisoire.
Le doute cartésien, éminemment métaphysique, vient remettre en cause le sens de l'homme et du monde mais ne saurait toutefois être confondu avec le doute des Sceptiques (pour qui nous ne pouvons affirmer quoi que ce soit avec une totale certitude).“Non que j'imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter et affectent d'être toujours irrésolus”. Discours de la méthode. Troisième partie.

En termes cartésiens, nous quittons "l'océan du doute" pour découvrir "le roc ou l'argile".
Cf. Pyrrhon: vers -365 - 275 av. J.C.

3. Les facultés déduites de l'unité du Cogito.

“Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes; et c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose que penser”. Méditations métaphysiques. Seconde Méditation.

Cette aperception immédiate englobe à la fois la capacité de comprendre, de vouloir, d'imaginer, de sentir. Nous avons là, l'intervention de quatre grandes données de conscience: l'entendement, la volonté, l'imagination, la sensibilité.
Comment dès lors, compte tenu de la diversité des représentations auxquelles je suis confronté, saisir ma permanence de sujet? Puis-je saisir mon essence?

4. Du "je suis" à ce que je suis...

Ce sujet peut-être défini, à la fois, comme une substance pensante, immatérielle et indivisible, une res cogitans (ce qui caractérise l'âme) et comme une substance étendue, une res extensa (ce qui caractérise le corps). Ces deux substances spirituelle et matérielle coexistent. Or mon corps, comme tous les corps, peut recevoir figure, étendue et mouvement . Il occupe l'espace et est, lui aussi, régi par des lois physico-mécaniques.
Ce qui me singularise donc, c'est l'acte même de penser; la capacité de ma pensée à se saisir elle-même. Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle”. Discours de la Méthode. Je me distingue exclusivement par le fait de disposer d'un esprit, de la faculté de saisir toute pensée.
Pour conclure, je suis un composé âme-corps, “un mélange” (permixtio). Nous retrouvons ce dualisme, dans le Traité des passions,[30], 1649 :l'âme est unie à toutes les parties du corps conjointement. L'âme et le corps sont bien deux substances distinctes mais non séparées.
Subsiste un problème “fort étrange”: comment la pensée peut-elle dépendre de mécanismes physiques? Comment peut-elle influer sur les mouvements du corps; le diriger?

Voir à la rubrique Textes du Sommaire (Série S):
-Texte de Descartes extrait des Méditations métaphysiques.   :

Dans ce texte, Descartes montre que je suis inscrit dans la nature par mon corps et par mes pensées qui en sont l'expression. Mon corps exerce un certain nombre d'actions sur mon âme. Nous pouvons le constater avec le jeu (le mécanisme) des passions.
Ces dernières, assez souvent, nous égarent. Les appétits et les sentiments, en effet, nous habitent en permanence. Il nous appartient alors de définir la meilleure attitude à adopter vis-à-vis des désirs et des passions.
Une morale peut être mise en place. La rationalité la plus grande doit primer. Est-ce impossible? Non, répond Descartes puisqu' “il n'y a rien qui ne soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées”.