L'INCONSCIENT
PREMIÈRES ET
SECONDES DÉCOUVERTES
Descartes
identifie conscience et psychisme. Cette conscience est totalement transparente
à elle-même.
L’âme est une substance qui pense. Immatérielle, « l’âme est d’une nature qui n’a aucun rapport à l’étendue ni aux dimensions ou autres propriétés dont le corps est composé ».
Par pensée, il faut donc entendre « tout ce qui est en nous de telle sorte que nous en soyons immédiatement conscients ». Descartes, Méditations métaphysiques, Deuxième méditation.
Toute pensée est nécessairement consciente.
Mais,
cette conscience peut-elle être considérée comme le centre absolu de nos actes ?
Est-elle toute la pensée ?
Freud
(1856-1939) s’attachera à montrer qu’il existe un psychisme inconscient.
A.
PREMIÈRES DÉCOUVERTES
1.
L’hypothèse d’un inconscient psychique
Objectif : « montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans
sa propre maison ».
La souveraineté du sujet est remise en question. La
conscience se trouve dépossédée de sa place centrale.
Pensée º Conscience + Inconscient
Force
psychique active, l’inconscient est régi par des règles spécifiques de fonctionnement.
a.
Une hypothèse nécessaire
L’inconscient
est, de fait, une réalité. Il existe dans notre vie quotidienne de nombreux
éléments qui méritent d’être pris en compte, qui sont produits par le sujet
et qui ont des effets de sens : les lapsus, les rêves, les actes manqués*, les oublis, … les actes compulsionnels (forces
irrépressibles), les symptômes pathologiques…
Tous ces éléments montrent qu’une force psychique s’oppose
à la conscience ; cette résistance vient du moi. Celui-ci, en effet,
assure un rôle régulateur en canalisant
les pulsions (ces poussées énergétiques qui tendent l’organisme vers un but).
On
parlera alors de refoulement : processus qui tend à enfouir, à repousser ou à maintenir dans
l’inconscient un certain nombre de représentations liées à des désirs ou pulsions.
Les lapsus, ou encore les actes manqués* permettent ainsi de satisfaire des désirs inconscients, c’est-à-dire qui ne sont pas reconnus comme tels par la conscience. Ce retour du refoulé emprunte une voie oblique et s’effectue sous forme de compromis.
*Exemple : adresser une lettre au mauvais destinataire (symptôme inconscient : expression d’un compromis entre le désir conscient et le désir inconscient).
Dans certaines névroses obsessionnelles, le passé personnel
peut exercer des effets tyranniques. Des émotions ont pu être réprimées, révoquées,
chassées hors de la conscience. Mais, ce qui a été plus ou moins profondément
enfoui cherche à se manifester de façon détournée. En ce sens, les symptômes apparaissent comme la métamorphose ou la traduction de souvenirs refoulés.
Cf. Freud : « les hystériques souffrent de réminiscence ».
® il existe un dynamisme de l’inconscient : le refoulement n’est pas
acquis de manière définitive. Il requiert, pour être maintenu, une dépense
continuelle d’énergie.
b.
Une hypothèse légitime
Un point de départ :l’étude des névroses et tout particulièrement des symptômes hystériques (paralysies, contractures, anesthésies, pertes
de connaissance, convulsions, hallucinations, délires…).Cf . Etudes
sur l’hystérie, Freud et Breuer, 1895.
Une justification pratique : les résultats thérapeutiques.
Exemple : la talking-cure, l’association libre, l’investigation de l’inconscient par la libre parole (dire ce qui vient comme cela vient) expérimentée en 1880.
Freud ayant abandonné la narcothérapie (sommeil artificiellement
provoqué) et le recours à l’hypnose
(méthode basée sur la suggestion et utilisée ,dès 1878, par le psychiatre Charcot).
Pour Freud « guérir, c’est rendre conscients des
souvenirs oubliés ».
NB. Des évènements traumatiques peuvent être très difficiles
à retrouver car travestis et chassés dans l’inconscient. Le sujet refuse de
reconnaître comme sien un désir, un sentiment jusque là refoulé mais cependant formulé.
L’inconscient est le siège des pulsions innées, des
désirs et des souvenirs refoulés.
Freud élabore une première topique (configuration, représentation spatiale de ces forces).
2.
Il existe un clivage Ics / Pcs - Cs
Ces trois instances psychiques peuvent être définies
comme suit :
(Ics : désigne l'inconscient sous sa forme substantive comme système).
Ics : ce qui est inaccessible à la conscience , proprement inconscient, ce qui résulte du
refoulé. Le refoulement reste toutefois « capable d’action et d’effet ».
Pcs : tout n’est pas inconscient au même degré. Il
y a là une dimension latente ;
un certain nombre de connaissances, de souvenirs peuvent être réactualisés,
remémorés. Ils sont disponibles, susceptibles de devenir conscients. On parlera
de reviviscences.
Cs : ce qui exprime un rapport simple, immédiat, manifeste à soi-même. Ce qui est perçu et accepté.
Important : chaque système dispose d’une énergie
d’investissement qui lui est propre.
Ce quantum d’investissement se rattache à une représentation
ou à un objet quelconque.
L’inconscient se caractérise par :
- l’absence de contradiction (« ni négation, ni
doute, ni degré dans la certitude »)
- la mobilité des investissements*
- l’intemporalité (rien n’est ordonné par le temps).
- la substitution à la réalité extérieure de la réalité
psychique. Les contenus propres à l’inconscient sont fortement investis (le principe de plaisir prévaut).
* Freud distingue les investissements par déplacement
et les investissements par condensation.
Par déplacement :l’investissement sur une représentation se transmet de proche en proche à une autre.
Exemple : une angoisse peut être déplacée sur
un objet phobique. Il s’agit d’une fonction défensive.
Par condensation :
l’investissement se fait sur plusieurs représentations. Des éléments présentant
des traits communs sont fondus ensemble, de manière composite. Une représentation
pouvant capter l’investissement de plusieurs autres. Il s’agit là d’une fonction
de dissimulation (désirs et pulsions sont travestis).
Dans le premier investissement : le contenant
est pris pour le contenu , la partie pour le tout (processus métonymique).
Le second investissement procède par métaphore.
B.SECONDES DÉCOUVERTES
1.
Trois « maîtres sévères » : le monde extérieur, le surmoi et
le çà
a.
Le monde extérieur
Ce dernier traduit des exigences matérielles, objectives.
Le moi , en effet, s’adapte à la réalité ; obéit
à un certain nombre de règles, de lois… Autrement dit, sait renoncer à des
satisfactions immédiates. Le moi a pour fonction
la défense des intérêts personnels fondés sur le principe de réalité.
b. Le
surmoi
Il désigne la force des interdits parentaux, religieux,
culturels ; la prégnance des convenances sociales ; l’intériorisation
des impératifs moraux. Instance répressive, il exerce des pressions sur le
moi. Il a le pouvoir de censurer les pulsions, les désirs.
c.
le çà
C’est le pôle des pulsions archaïques, des poussées énergétiques primitives. Instance qui méconnaît le temps, les relations causales et logiques, le çà se règle entièrement sur la satisfaction des désirs. Le çà obéissant au principe de plaisir cherche à devenir conscient mais le moi s’y oppose.
La libido, énergie de la pulsion sexuelle s’investira –
de ce fait – sous différentes formes.
Freud
Conclusion : cette théorie des lieux psychiques, deuxième topique (1923) définit la conscience comme une résultante de ces trois forces
dynamiques, une médiatrice entre le principe de réalité, le principe de plaisir
et les impératifs moraux.
® Déterminée par ces trois forces,
la liberté de conscience apparaît désormais plus restreinte.
C. LA CRITIQUE
SARTRIENNE
Assumer
l’ensemble de ses choix
S’en remettre à ces trois forces n’est-ce pas diluer
sa part de responsabilité ? Excuser nos propres actes par des motivations
inconscientes, c’est se démettre de soi-même, ne plus être responsable de
ses choix. « Fuir ce que l’on est » et par là se réfugier dans le
mensonge et la mauvaise foi.
Toute maîtrise de soi exige une intervention de la
conscience, une unité du cogito ; un moment premier où la conscience libre et souveraine se saisit elle-même.
Nous ne sommes nullement le jouet de forces instinctives
et obscures qui nous échappent.
La conscience est bien plutôt un pouvoir de dépassement.
L’homme est foncièrement indéterminé :
il a à se faire être, il est avant tout projet.
Sartre :« faire
et en faisant se faire, et n’être rien que ce qu’on se fait ».L’homme
décide ainsi du sens de ses actes ; il opère des choix. Invoquer alors
le déterminisme de l’inconscient revient à abdiquer sa liberté.
Et, pour qu’il y ait refoulement ne faut-il pas que
la conscience connaisse ce qu’elle refoule ?
En effet, ce qui est véritablement refoulé, rejeté
doit tout d’abord être reconnu. Repousser une tendance, un désir requiert
une certaine représentation de ce qui sera refoulé.
® Notre propre libération passe
par la connaissance des déterminismes inconscients.
Illustration E.B TS1
05
Problème: la conscience en tant que capacité de représentation nous permet-elle d'avoir accès au moi, à notre singularité? Est-elle au fondement de toute connaissance ou bien, dans certains cas, fait-elle obstacle à cette connaissance?
Ce retour critique sur soi-même est indissociable de l'exercice du doute. Nous essaierons, ici, de suivre le cheminement de Descartes. Moment philosophique important où se dessine une philosophie du sujet.
Postulat de Descartes: il existe une primauté de la raison. L'esprit humain possède des principes indépendants de l'expérience. La raison est innée, universelle,“toute entière en un chacun”, immuable (elle ne peut être modifiée par le temps, l'histoire). Peut-on, pour autant, en faire le guide de nos actions?
1. Une démarche intellectualiste
Le Discours de la méthode, 1637, a pour objet de “bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences”. Cet ouvrage est suivi de trois essais — La Dioptrique, Les Météores, La Géométrie — qui illustrent cette méthode.
Descartes remet en question ce qu'il a appris (ce qui lui a été transmis de manière scolastique).
Un premier constat: l'homme est faillible, sujet à l'erreur. Nos sens, en effet, sont trompeurs. Nous ne pouvons entièrement nous fiés à l'expérience sensible. Et, sur un plan intellectuel force est de constater que nous faisons de faux raisonnements, des paralogismes (des raisonnements qui n'ont que l'apparence du vrai).
Voir à la rubrique Textes du Sommaire (Série S) :
-Texte de Descartes extrait du Discours de la méthode.
:
-Texte de Descartes extrait des Méditations métaphysiques.
:
Quel fondement donc donner à nos connaissances? Quel cheminement suivre pour que ces connaissances soient “claires et assurées”, indubitables? De quoi pouvons-nous être certains?
2. Le recours cartésien au doute méthodique
Rappel: "il vaut mieux ne jamais chercher la vérité que de le faire sans méthode". Descartes.
Point de départ: considérer comme faux ce qui n'est que douteux. Plus, donner au doute son extension maximale. Douter même du probable et admettre seulement ce qui est totalement assuré.
Exemples:
-présentement, ne sommes-nous pas en train de rêver?
-n'existe-t-il pas une puissance trompeuse, un Malin Génie qui agit à notre insu et qui met “son industrie” à nous tromper en toutes choses?
La quatrième partie du Discours de la méthode, nous montre ainsi l'omniprésence de l'illusion, du leurre, de la fiction.
Mais si tout est posé comme douteux, je ne peux cependant douter que je doute. Nous retrouvons cette idée dans les Méditations métaphysiques, 1641 : que ce Malin Génie “ me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose”.
Autrement dit, ma pensée résiste au doute et si je pense, je suis. L'acte de douter me conduit à penser que j'existe. L'opération de penser m'assure de mon existence. Le Cogito ergo sum se dévoile alors comme première vérité accessible. Il s'agit d'une vérité exemplaire car elle se manifeste par sa clarté et sa distinction.
La clarté d'une idée indique que les différents éléments qui la constituent sont perçus immédiatement et sa distinction, qu'elle ne peut être confondue avec une autre.
Une règle générale peut alors être établie: “toutes les choses que nous concevons fort clairement et distinctement, sont toutes vraies”. Troisième Méditation.
Remarque: cette puissance de l'évidence ne peut être garantie que par la véracité divine
De manière indirecte, Descartes établit un parallèle entre l'ordre de la pensée et l'ordre des choses. L'objectif de sa démarche est de pouvoir — ne l'oublions pas — saisir l'organisation originelle de la nature.
Le Cogito ergo sum est le fondement et le modèle de toute connaissance vraie, une première vérité ne pouvant en aucun cas résulter d'un syllogisme. Le Cogito est une saisie immédiate, intuitive; un acte instantané de la pensée. Il désigne fondamentalement, la saisie d'une unité: celle d'un “ je suis, j'existe”. Méditations métaphysiques.
L'accès à ce premier principe philosophique, amène Descartes à suspendre l'exercice du doute. Ce dernier présente donc trois caractères: il est volontaire (délibéré), hyperbolique (radical et absolu) et provisoire.
Le doute cartésien, éminemment métaphysique, vient remettre en cause le sens de l'homme et du monde mais ne saurait toutefois être confondu avec le doute des Sceptiques (pour qui nous ne pouvons affirmer quoi que ce soit avec une totale certitude).“Non que j'imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter et affectent d'être toujours irrésolus”. Discours de la méthode. Troisième partie.
En termes cartésiens, nous quittons "l'océan du doute" pour découvrir "le roc ou l'argile".
Cf. Pyrrhon: vers -365 - 275 av. J.C.
3. Les facultés déduites de l'unité du Cogito.
“Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes; et c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose que penser”. Méditations métaphysiques. Seconde Méditation.
Cette aperception immédiate englobe à la fois la capacité de comprendre, de vouloir, d'imaginer, de sentir. Nous avons là, l'intervention de quatre grandes données de conscience: l'entendement, la volonté, l'imagination, la sensibilité.
Comment dès lors, compte tenu de la diversité des représentations auxquelles je suis confronté, saisir ma permanence de sujet? Puis-je saisir mon essence?
4. Du "je suis" à ce que je suis...
Ce sujet peut-être défini, à la fois, comme une substance pensante, immatérielle et indivisible, une res cogitans (ce qui caractérise l'âme) et comme une substance étendue, une res extensa (ce qui caractérise le corps). Ces deux substances spirituelle et matérielle coexistent. Or mon corps, comme tous les corps, peut recevoir figure, étendue et mouvement . Il occupe l'espace et est, lui aussi, régi par des lois physico-mécaniques.
Ce qui me singularise donc, c'est l'acte même de penser; la capacité de ma pensée à se saisir elle-même. “ Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle”. Discours de la Méthode. Je me distingue exclusivement par le fait de disposer d'un esprit, de la faculté de saisir toute pensée.
Pour conclure, je suis un composé âme-corps, “un mélange” (permixtio). Nous retrouvons ce dualisme, dans le Traité des passions,[30], 1649 : “l'âme est unie à toutes les parties du corps conjointement”. L'âme et le corps sont bien deux substances distinctes mais non séparées.
Subsiste un problème “fort étrange”: comment la pensée peut-elle dépendre de mécanismes physiques? Comment peut-elle influer sur les mouvements du corps; le diriger?
Voir à la rubrique Textes du Sommaire (Série S):
-Texte de Descartes extrait des Méditations métaphysiques. :
Dans ce texte, Descartes montre que je suis inscrit dans la nature par mon corps et par mes pensées qui en sont l'expression. Mon corps exerce un certain nombre d'actions sur mon âme. Nous pouvons le constater avec le jeu (le mécanisme) des passions.
Ces dernières, assez souvent, nous égarent. Les appétits et les sentiments, en effet, nous habitent en permanence. Il nous appartient alors de définir la meilleure attitude à adopter vis-à-vis des désirs et des passions.
Une morale peut être mise en place. La rationalité la plus grande doit primer. Est-ce impossible? Non, répond Descartes puisqu' “il n'y a rien qui ne soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées”.