INSPIRATION ET CRÉATION

 

L’inspiration et la création dans le domaine de l’art sont très généralement associées. Reste à connaître ce qui génère cette inspiration et quels en sont les effets les plus manifestes.

Nous proposerons comme première définition de l’inspiration, celle du Dictionnaire Laveaux de 1820.

Inspiration : " moyen insensible et pénétrant de faire naître dans l’esprit de quelqu’un des pensées, ou dans son cœur des sentiments qui semblent y naître d’eux-mêmes ".

Nous verrons que pour les grecs, cette inspiration procède d’une impulsion divine.

 

I. LA CONCEPTION ANTIQUE DE L’INSPIRATION

Pour Platon , il s’agit d’un don divin , d’une faveur céleste . L’inspiration se caractérise par l’enthousiasme , le transport, la puissance d’élévation.

Cette inspiration porte au délire , à la possession ; saisit celui qui se fait l’interprète de la divinité . L’inspiration est , en cela , supérieure à la sagesse humaine ( au simple talent ou aptitude des hommes).

Ce délire est proprement sacré . Le poète , par exemple , nous dit Platon " ne peut créer avant de sentir l’inspiration , d’être hors de lui et de perdre l’usage de la raison ". L’inspiration se sépare donc du bon sens.

Remarque : cette inspiration n’est pas nécessairement continue . Dans un autre dialogue (Phèdre), Socrate avertit son interlocuteur : " l’inspiration pourrait bien s’en aller ; c’est l’affaire du Dieu ".

Deux genres de délire sont distingués : le délire issu de la maladie et le délire par impulsion divine. Ce dernier genre regroupe , lui- même , quatre espèces  :

1. L’art de la divination.

C’est l’art des prophétesses et des devins ; l’art d’interpréter l’avenir.

Exemple : la pythie, rendant les oracles du dieu Apollon (principal interprète de Zeus) dans le sanctuaire de Delphes.*

2. L’art des augures.

C’est l’art des initiés , de ceux qui maîtrisent la connaissance par les signes et qui s’appuient sur le raisonnement.

3. Le délire provenant des Muses

Filles de Zeus , conduites par Apollon : Calliope , déesse de l’éloquence ; Euterpe , déesse de la musique ; Clio , déesse de l’histoire…

4. Le délire amoureux : la forme suprême du délire.

Ce délire est placé sous le signe d’Eros.

* Apollon et Dionysos sont deux grandes divinités du monde grec.

a. Apollon :

Dieu solaire. Dieu de la divination, des prophéties, de la vérité. Incarne la perfection plastique, la mesure, l’harmonie, les belles apparences, le rêve et l’illusion.

Dieu de la musique (cf. la lyre). En l’honneur d’Apollon, on compose des chants (des péans), odes accompagnées de la flûte.

NB. Il existait aussi une flûte à deux tuyaux, appelée aulos pour exciter les passions impures.

b. Dionysos :

Dieu de la végétation, de la génération mais aussi de l’ivresse, de l’imagination. Dieu de la démesure. Incarne la fécondité et le délire mystique.

En l’honneur de Dionysos , on compose des hymnes, odes chantées avec accompagnement de cithare.

 

II. LES EFFETS SPÉCIFIQUES DE L’ART

L’ascension vers le Beau.

Nous nous appuierons, ici, sur deux œuvres de Platon :

A. HIPPIAS MAJEUR

Cette œuvre est une tentative pour définir le Beau. Le dialogue s’achève sur un proverbe : "les belles choses sont difficiles".

La difficulté est bien de parvenir logiquement à une définition stable, assurée. Il s’agit donc d’un discours aporétique qui nous laisse dans l’embarras, la difficulté. Mais ce dialogue n’est pas pour autant totalement stérile. Les acquis du dialogue sont les suivants :

1.La beauté est cause du fait que de belles choses s’offrent à nous.

2.Le beau doit l’être pour tous et en tout temps.

3.Le beau est absolument et non relativement à un genre ou à une matière.

Il s’agit avant tout d’une beauté conceptuelle.

Avantages du concept :

Le concept est unique (bien qu’il renvoie à une multiplicité de choses). Il est commun à toutes les choses qu’il définit, il subsiste alors que les choses, elles, changent.

Est beau, ce qui est capable de nous élever au concept afin de connaître ce qui est. Le concept est ce qui donne à voir. Il permet à l’œil de l’âme – à l’esprit – d’avoir accès à l’être des choses.

Problème : si la beauté est un don originel de l’être qui permet à l’homme d’avoir une meilleure visibilité des essences (autrement dit de les contempler), comment donc nous élever des belles choses au Beau en soi ; nous rapprocher des Dieux ?

B. LE BANQUET 

Ne faut-il pas tout d’abord se libérer du monde sensible, c’est-à-dire du monde fluctuant des apparences (de ce qui nous est donné par les sens) pour accéder au Beau absolu, au monde éternel des Idées… Comment ?

Par une suite de gradations, de degrés successifs il nous faut passer de la beauté physique à la beauté morale puis de celle-ci à la beauté des connaissances. Enfin, de celle dernière au Beau absolu. Ce qui exige une initiation.

Diotime – l’Etrangère de Mantimée – jouera pour Socrate ce rôle d’initiatrice. Seule, en effet, une conversion de l’âme peut " engendrer la beauté et selon le corps et selon l’âme ". L’objet même de cette conversion est la révélation du beau divin : beau unique, immuable, éternel.

Mais, pour avoir accès à ce monde lumineux des essences et de la contemplation encore faut-il savoir aimer pour être aimé des Dieux.

C. ÉROS OU LE DÉSIR D’ACCOMPLISSEMENT

Rappel : L’amour est cet intermédiaire mythologique entre les mortels et les Dieux. Par sa nature démonique il a partie liée avec le Beau. Il n’est ni savant, ni ignorant mais philosophe ; guetteur de beauté. Il représente la forme la plus éminente du délire. C’est un révélateur de la beauté véritable et le seul capable de rendre immortel.

Ce qui est visé dans l’amour, au travers du désir d’immortalité, c’est " la possession perpétuelle de la beauté ".

Et, la vertu la plus haute – l’excellence – sera par voie de conséquence l’incarnation, la synthèse du beau et du bien : le "kaloskagathos". La trilogie platonicienne : le vrai, le beau, le bien prend, ici, tout son sens. L’idée du bien éclaire le beau et " le beau est la splendeur du vrai ". Connaître le Bien, c’est précisément le faire.

Objectif : contribuer à l’ordonnance, à l’organisation de la Cité. L’idéal du législateur le plus éclairé s’inscrit, en cela, dans la beauté politique des lois . Agir justement et sagement exigera donc, tout d’abord, un accord avec soi-même ; une harmonisation des différentes parties de notre être.