L’HYPNOSE, SA NATURE ET SON USAGE.

 

AVANT-PROPOS.

L’hypothèse freudienne d’un inconscient psychique peut être vérifiée dans la vie quotidienne : actes manqués, oublis de noms propres, pertes d’objets, lapsus écrits ou verbaux*, actes compulsionnels…

Cette hypothèse est non seulement légitime mais nécessaire ; elle désigne de nouvelles voies thérapeutiques, des possibilités de guérison. Exemple: dans le domaine des névroses obsessionnelles.

S’appuyant sur le modèle copernicien (passage du géocentrisme à l’héliocentrisme)Freud –1856- 1939 – montre que l’inconscient n’est pas un simple négatif de la conscience. Celle-ci est, en effet, dépossédée de sa place centrale. La conscience n’est plus au centre de nos actes. Un nouveau continent de la vie psychique s’ouvre alors (à toutes les controverses …).

Le recours de Freud à l’hypnose (comme capacité à se remémorer des évènements) puis son abandon assez retentissant alimentera, à partir de 1897, bien des polémiques. Ce qui précisément est à l’œuvre dans l’hypnose, à savoir la suggestion fait problème.

Qu’en est-il, aujourd’hui, de l’hypnose ?

" Combien de fois n’avons-nous pas entendu dire:" L’hypnose? Mais si c’était un phénomène intéressant, cela se saurait ! " par des gens naïfs et de bon volonté, sincèrement étonnés, qui ignorent que nos savoirs ne sont pas neutres, et que le silence pèse sur les phénomènes qui blessent le narcissisme des chercheurs.

Et donc, justement parce qu’elle est un phénomène blessant, l’hypnose constitue pour tous ceux qui s’intéressent au psychisme humain un défi fondamental. Elle nous pose, de manière brutale, la question : avons-nous bien pris la mesure de ce que signifie l’idée de connaissance lorsqu’elle a pour objet des êtres avec qui nous sommes en relation affective ? Ne sommes-nous pas prisonniers des idéaux de connaissance qui ont guidé notre exploration des phénomènes naturels ? "

L.Chertok, I.Stengers, L’hypnose blessure narcissique, PP47-48, 1999.

* Exemples : la Chapelle Sixteen, le Dieu aux iris… (Lapsus d’élèves. Soit !).

 

I. DEFINITION DE L’ETAT HYPNOTIQUE.

L’hypnose peut être définie comme un état de conscience atténué et modifié. Dans l’hypnose, la vigilance est réduite et la volonté suspendue, saisie. Ceci ne veut pas dire pour autant que la coupure avec la réalité extérieure soit totale. Cet état est souvent décrit comme très voisin du sommeil. On parle d’hypnose somnambulique.

Il ne s’agit pas cependant d’un sommeil vrai. D’un sommeil, au sens habituel, où s’effectue une mise au repos de notre personnalité.

Les tracés électriques du sommeil ordinaire et du " sommeil" hypnotique différent. Pour ce dernier, on observe une désynchronisation de l’activité alpha, le tracé évoque plutôt un état de pré-sommeil. Cf. La Recherche N°3, P.38, Avril 2000.

 

II. QUELLES SONT SES MANIFESTATIONS ?

On peut noter des battements de paupières, des signes de catalepsie hypnotique (conservation des attitudes données dues à la suspension des mouvements volontaires).

Une atonie musculaire et posturale. Exemple : un relâchement des muscles faciaux.

Une absence de résistance aux influences extérieures, une tendance aux automatismes.

L’hypnotisé reste toutefois capable de verbalisation et de mobilité. Il fait alors des mouvements de manière passive. Exemple : réaliser une flexion de l’avant-bras sur le bras (à la demande de l’hypnotiseur).

º L’état hypnotique apparaît ainsi comme une forme d’abandon de soi, une dépossession.

" Une de ses particularités consiste dans une sorte de paralysie de la volonté et des mouvements, paralysie résultant de l’influence exercée par une personne toute-puissante sur un sujet impuissant, sans défense, et cette particularité nous rapproche de l’hypnose qu’on provoque chez les animaux par la terreur ". S. Freud, Essais de psychanalyse, p.140, Ed. Payot, 1976.

Il est possible aussi d’observer des amnésies ou des hypermnésies (des reviviscences très fortes).

Dans certains cas – beaucoup plus rares – des endormissements profonds peuvent se produire !

 

III. COMMENT CET ETAT HYPNOTIQUE EST-IL INDUIT ?

Exemple : l’injonction dormez !

" l’ordre de dormir, destiné à provoquer l’hypnose, n’est en somme que l’ordre de détacher son intérêt du monde extérieur, pour le concentrer tout entier sur la personne de l’hypnotiseur : c’est d’ailleurs ainsi que le comprend le sujet lui-même, puisque dans ce détachement de l’intérêt des objets et faits du monde extérieur réside la caractéristique psychologique du sommeil, et c’est sur lui que repose l’affinité entre le sommeil véritable et l’état hypnotique " Ibid, P.154.

Ce qui est visé : c’est un déplacement de l’attention, une rupture avec les manières habituelles de percevoir.  

" Mais pendant que l’hypnotiseur évite d’attirer l’attention sur ses intentions la pensée consciente du sujet et que celui-ci se plonge dans une attitude au cours de laquelle le monde doit lui apparaître comme dépourvu d’intérêt, toute son attention se trouve sans qu’il s’en rende compte, concentrée sur l’hypnotiseur et il s’établit entre celui-ci et le sujet une attitude de rapport, de transfert ". Ibid, P.155.

Une autre possibilité : l’auto-hypnose.

Exemple : en s’appuyant sur l’enregistrement de la voix de l’hypnotiseur !

NB. Il existe des formes d’hypnose collective.

" Raspoutine utilisait ce moyen pour réaliser des "avenues de statues vivantes" pour amuser la Cour Impériale névropathe de Saint-pétersbourg ".

Extrait de Stephen Black, Mind and Body, cité par H.Baruk, P.83, QSJ N° 1458, 1972.

Il existe aussi des hypnoses simulées… C’est le cas parfois dans les hypnoses de scène.

 

IV. SINGULARITE DE L’HYPNOSE.

L’état hypnotique ne saurait être confondu avec la veille, le sommeil ou le rêve. C’est un quatrième état.

Encore faut-il éclaircir quelques points.

Dans le sommeil ordinaire on distingue plusieurs phases. Parmi celles-ci l’endormissement, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. Ces phases ne génèrent pas les mêmes tracés électriques.

Le sommeil paradoxal (découvert par Michel Jouvet en 1959) est celui de l’activité onirique, celle où se déploient les rêves. Il se produit environ toutes les 90 minutes, dure une vingtaine de minutes et représente 20% du sommeil de l’adulte.

Il se caractérise par des ondes rapides de faible amplitude, mais de forte intensité. Ces ondes sont très proches de celle de l’éveil. Pourquoi est-il appelé paradoxal ?

" car le temps du rêve est marqué d’un coté par un isolement plus total à l’égard du monde extérieur et par un approfondissement du sommeil, et d’un autre coté par une activation du cortex similaire à celle de la veille attentive ".

François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ? Ed.de Minuit, P.18.

F.Roustang propose une définition nouvelle de l’hypnose. Celle-ci est appelée veille paradoxale pour la distinguer de la veille ordinaire, restreinte. Veille précisément nommée paradoxale : "parce que le corps y apparaît sous les traits du sommeil et que les caractères de la veille s’y manifestent avec plus de force et d’ampleur ". Ibid, P.18.

Dans cette veille paradoxale, il y a une prolifération de l’imaginaire. Le pouvoir de l’imagination s’y exprime, transforme notre rapport aux autres et au monde ; nous donne la possibilité d’influer sur notre propre existence et tout particulièrement sur la veille restreinte.

D’où cette analogie :

" de même que le sommeil paradoxal conditionne l’apparition du rêve nocturne, l’hypnose libère un pouvoir inné, celui d’organiser le monde pendant le jour ". Ibid, P.14.

Ce qui est donc réactivé, sous les apparences du sommeil et par l’imagination, c’est ce pouvoir propre au rêve : cette possibilité d’ordonnancer le monde. Dans le sommeil ordinaire, nous subissons le rêve, dans la veille paradoxale nous tentons de le réorienter, de lui donner un autre cours.

V. HYPNOTISABILITE.

Elle peut être fort variable selon les individus.

La notion de suggestion.

Dans la suggestion, l’esprit inattentif ou dominé est surpris et entraîné. Mais, ce pouvoir de suggestion est difficilement déchiffrable. L’origine même de la suggestion constitue selon le terme de Freud " une énigme " et …un scandale pour la raison. La suggestion est une " influence sans fondement logique suffisant ".

Plusieurs passages extraits des Essais de psychanalyse exigent une lecture attentive. Pour Freud, "  la suggestion (ou plus exactement la suggestibilité) est un phénomène primitif et irréductible, un fait fondamental de la vie psychique de l’homme ". Cf. PP.108-109.

Freud va mettre à jour plusieurs points de ressemblance entre l’amour, la foule et l’hypnose.

  1. Une ressemblance avec l’état amoureux.
  2. " De l’état amoureux à l’hypnose la distance n’est pas grande. Les points de ressemblance entre les deux sont évidents. On fait preuve à l’égard de l’hypnotiseur de la même humilité dans la soumission, du mêmes abandon, de la

    Même absence de critique qu’à l’égard de la personne aimée. On constate le même renoncement à toute l’initiative personnelle […]. Seulement dans l’hypnose toutes ces particularités apparaissent avec plus de netteté et de relief, de sorte qu’il semblerait plus indiqué d’expliquer l’état amoureux par l’hypnose que de suivre la voie inverse. L’hypnotiseur est pour l’hypnotisé le seul objet digne d’attention ; tout le reste ne compte pas ". Ibid, PP. 133-138.

    Une distinction toutefois : il n’y a pas dans l’hypnose de tendances sexuelles directes.

    L’hypnose peut-elle alors être l’équivalent d’une régression ? Ne faut-il pas examiner la survivance de cet instinct grégaire qui se manifeste dans le phénomène de foule ?

  3. Une ressemblance avec la foule.

" Nous devons dire que les nombreux liens affectifs qui caractérisent la foule suffisent, certes, à expliquer le manque d’indépendance et d’initiative chez l’individu, l’identité de ses réactions avec celles de tous les autres individus composant la foule, sa descente au rang d’une unité de la foule. Mais la foule, considérée dans son ensemble présente d’autres caractères encore : abaissement de l’activité intellectuelle, degré démesuré de l ‘affectivité, incapacité de se modérer et de se retenir, tendance à dépasser, dans les manifestations affectives, toutes les limites et à donner issue à ces manifestation en agissant ". Ibid, P.142.

Une distinction là encore : lorsqu’on s’intéresse à la seule attitude d’un individu à l’égard du meneur, on l’isole ; on ne prend pas en compte le tout.

Mais la foule n’est-elle pas une résurrection de la horde primitive (en tant que première forme de société humaine) ?

Que se passait-il au sein même de cette horde ?

" La volonté de l’individu était trop faible pour se risquer à l’action. Les impulsions collectives étaient alors les seules impulsions possibles ; la volonté individuelle n’existait pas. La représentation n’osait pas se transformer en volonté, lorsqu’elle ne se sentait pas renforcée par la perception de sa diffusion générale ". Ibid, P.150.

Conclusion : pour Freud, l’hypnose participe (dans certaines limites) à la fois de l’amour et de la foule. L’hypnose, écrit Freud dans le même ouvrage, est " une foule à deux ".Elle renferme quelque chose d’inquiétant car elle contribue au réveil d’un héritage archaïque – celui de la horde, du meneur et par là du père primitif – et ceci par le biais de la suggestion.

" L’hypnotiseur se prétend en possession d’une force mystérieuse ou, ce qui revient au même, le sujet attribue à l’hypnotiseur une force mystérieuse qui paralyse sa volonté. Cette force mystérieuse, à laquelle on donne encore communément le nom de magnétisme animal, doit être la même que celle qui constitue pour les primitifs la source du tabou ; c’est la force même qui émane des rois et des chefs et qui met en danger ceux qui les approchent […].Mais c’est précisément l’aspect du chef qui est pour le primitif plein de danger et insupportable, de même que plus tard le mortel ne supporte pas sans danger l’aspect de la divinité ". Ibid, P.153.