TRANSFORMER LA NATURE

 

EN VUE DE QUOI ?

1.Essence de la technique

La technique permet, par la mise en œuvre de différents moyens, de répondre à des besoins naturels (vitaux) et culturels (aussi variés que complexes). Le souci utilitaire, l’efficacité priment. Les outils, les machines serviront ainsi de médiateurs entre l’homme et son milieu naturel.

Sur un plan instrumental, de multiples processus de production s’ordonnent, se combinent ou s’excluent (ex : moteur à essence et / ou GPL). La technique fait donc intervenir de très nombreux savoir-faire, des procédés, des méthodes. En ce sens, la technique requiert des apprentissages, mobilise l’intelligence pratique. L’un de ses principaux traits est la fabrication.

Autrement dit, la technique présuppose: un héritage culturel, des emprunts (et des remaniements), des transmissions. Mais selon les sociétés, la technique atteint différents degrés de complexité (ex : défrichage, mise en valeur des terres à la houe puis avec des tracto-pelles…). L’histoire des outils – même les plus rudimentaires – renvoie aux rapports entre civilisations. Ce que traduisent les antagonismes et les alliances pour l’accès aux matières premières (ex : Les transferts de technologie dans le domaine nucléaire sont révélateurs des enjeux politiques et sociaux).

La technique peut également être définie comme une suite d’innovations, de perfectionnements successifs (roue dentée, ressort, rivet, processeur…) ; de découvertes cumulatives (automatisation et informatisation). Exigence, ingéniosité, créativité sont de mise. Nous retrouvons là, à la fois Dédale et Léonard de Vinci ! Et ce qui vaut pour les formes de vie les plus primitives (le troc, l’autarcie) vaut pour l’économie de marché (ex : la numérisation, les investigations par images de synthèse,… les machines à reconnaissance vocale contribuent à renforcer la productivité).

F.Dagognet : les objets " véhiculent la culture ainsi que le changement ".

Une découverte décisive : la domestication du feu. La mythologie antique nous donne "l’acte de naissance" de la technique. Cf. le mythe de Prométhée dérobant le feu aux Dieux pour l’offrir à l’homme. Cet acte compense, par là-même sa faiblesse originelle.  

La technique – Techné désigne un savoir orienté vers la fabrication. Mais il n'y a pas pour les Grecs, de distinction entre l’art et la technique (beauté et utilité se confondent).

NB. La maîtrise du feu (vers – 400000 ans) modifiera le mode d’alimentation, rendra possible la poterie, la métallurgie… la sédentarisation, la création de cités.  

Une conséquence : la technique amplifie l’humanisation. Il y a là, une rupture définitive avec l’animalité. Chez l’animal, enfermé dans les automatismes de l’espèce, l’instinct pourvoit à tout. Chez l’homme, une volonté de rationalisation se déploie. C’est l’acquisition de la station verticale, la libération de la main*, l’accès au langage articulé qui rendent possible le développement de la technique. Pas de représentation, d’organisation et d’anticipation sans recours aux mots. Par voie de conséquence, la raison étend son pouvoir sur les choses dès qu’elle s’exerce au maniement des signes et des outils.

On reprendra, ici, l'opposition entre nature donnée et nature acquise ; hérédité et héritage.

* Le rôle de la main est à souligner. On appellera habileté manuelle, la capacité à déterminer ce qu’il faut faire pour atteindre tel ou tel but.

L’homme possède une intelligence fabricatrice. C’est, nous dit Aristote, le plus intelligent des êtres puisqu’il a la capacité de se servir de sa main. Cette dernière, par nature polyfonctionnelle, représente un ensemble d'outils permettant d’acquérir – de manière illimitée – de nouvelles techniques.

2. Libération et asservissement

La technique est fondamentalement une activité de transformation. Elle permet d’intervenir sur le cours des phénomènes, de modifier le donné naturel, l’être là des choses. La connaissance des déterminismes, des lois de la nature, augmente de ce fait notre champ d’action.

En transformant la nature, l’homme se transforme lui-même (transforme ses conditions d’existence). Hegel : " L’homme est l’œuvre de ses propres œuvres ". Il ne s’agit plus seulement – à la manière des Stoïciens – de se résigner, d’acquiescer à l’ordre de la nature mais bien plutôt de voir comment l’homme s’élève, par degrés, à sa propre conscience.

La technique peut contribuer à l’épanouissement des hommes par le travail, le jeu, le loisir (le temps laissé à la libre disposition des individus). N’est-elle pas puissance d’arrachement au milieu le plus hostile, à la violence et à la contrainte des éléments naturels ?

La technique nous permet de nous détacher des forces surnaturelles ou religieuses. Elle repousse les antiques fatalités ( le lot qui nous était dévolu à la naissance). En modifiant notre rapport aux choses, elle influe sur nos mentalités et nous pousse à définir de nouvelles formes de vie en communauté.

Nous utilisons, chaque jour dans nos espaces de vie, des ensembles d’outils de plus en plus complexes qui modifient nos relations sociales, les affaiblissent ou les enrichissent (ex : les communications satellitaires, la télé-chirurgie, l’ingénierie génétique, la domotique…).

L’idée cartésienne de "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" est une invitation à nous exhausser, c’est-à-dire à nous déterminer ; à conquérir notre liberté. La technique se situe toujours au-delà du simple besoin.

Vouloir, d’autre part, " plier l’homme à la nature " (cf. F. Dagognet) est une entreprise aussi vaine que totalitaire. Seule, une vigilance critique s’impose. Ceci concerne, tout particulièrement, les interventions sur le vivant (ex : les transgénèses animales et végétales, le clonage...). Jusqu’où intervenir ? Quelles réponses bioéthiques apportées ? 

Une remarque : pour les Encyclopédistes du XVIIIème (Diderot, D’Alembert) le progrès de la technique, autrement dit de la Raison, contribue directement au progrès moral. Cet optimisme excessif des Lumières sera dénoncé par Rousseau.