LE DROIT COMME FONDEMENT DE L’ÉTAT

A. Chez Hobbes (1588-1675)

 

I. Le passage à l’état social et les fondements de la souveraineté

Cf. De cive, 1642 (Du citoyen) et Léviathan, 1651.

Le pacte social : un acte rationnel.

Hobbes établit une fiction, celle de l’état de nature : état originel où les hommes bien que pourvus de raison entretiennent des relations violentes, conflictuelles.

La permanence de cet état de nature sert de modèle théorique et s’oppose ainsi à l’aspect changeant et transitoire des évènements historiques.

La démarche de Hobbes n’est pas celle de l’historien.

Dans cet état premier, les hommes sont égaux et leur liberté naturelle est sans limites. Le droit naturel de chacun s’énonce alors comme celui du plus fort. Ceci signifie que, pour satisfaire ses désirs, ses intérêts, chacun use de sa puissance physique. Nous sommes donc dans un état de violence généralisée.

C’est nous dit Hobbes, "la liberté qu’à chacun d’user comme il le veut de son pouvoir propre pour la préservation de sa propre nature…et en conséquence de faire tout ce qu’il considérera, selon son jugement et sa raison propres, comme le moyen le plus adapté à cette fin ".Cf. Léviathan, Chap. XIV.

L’autre constitue un obstacle à ma puissance d’agir. Protégé par aucune loi, "chacun est l’ennemi de chacun ". Cet appétit de puissance, de domination, de rivalité concourt à installer un état de guerre permanent : "état de guerre de chacun contre chacun". État où dominent l’instabilité, le désordre, la contrainte, la ruse. Cette liberté la plus totale a pour effet de décupler la peur et l’insécurité.

Hobbes : "dans l’état de nature la vie est solitaire, pauvre, grossière, abêtie et courte " car "avant l’institution des conventions et des lois, il n’y avait entre les hommes ni justice ni injustice, ni nature du bien et du mal publics, pas plus que parmi les bêtes".

La précarité, la méfiance, la misère règnent. La concorde naturelle n’existe pas (quant au secours divin, il est d’une trop grande incertitude !).

Texte de Hobbes : L'état de nature. :

 

Problème : comment donc surmonter le déchaînement des passions et survivre en groupe ?

Une seule réponse : par une convention, tous s’engageant envers tous.

Le pacte d’association, en dépassant la discorde originelle, rend possible la socialisation. Ce pacte, en effet, répond à une véritable nécessité naturelle. En quoi consiste-t-il ?

Il permet d ‘éliminer "ce droit de toute puissance de chacun sur tous". Il instaure le passage à l’état civil ; la sociabilité pourra alors être apprise, conquise. Par l’intermédiaire de ce pacte, les hommes abandonnent leurs prérogatives naturelles.

Le pacte devient effectif quand chaque homme se démet de sa liberté naturelle et de l’usage de ses propres forces, lorsqu’il renonce à se gouverner lui-même.

Seul, un tel pacte rend possible l’existence d’un État, d’un pouvoir politique (d’une structure d’ordre).

Il s’agit plus précisément, ici, d’une autorité souveraine et intangible (celle du Roi ou du Monarque) basée à la fois sur la force et la puissance législative. Pouvoir sans partage, sans obligations réciproques, sans limites. Pouvoir absolu de l État incarné dans la personne – indivisible – du Souverain.

Les individus se soumettant en vertu du principe suivant : "quiconque a droit à la fin a droit aux moyens". Autrement dit, c’est grâce à ce pacte que la liberté naturelle peut être échangée contre la paix civile et la sécurité.

Cette paix est donc toujours voulue, la sécurité la plus haute venant limiter, (réduire) les libertés individuelles. Sans ce pacte d’association, pas de pouvoir politique possible. D’où la nécessité d’une force publique terrifiante et dissuasive, instituée en vue de cette paix et de cette sécurité.

Résumé : dans l’état de nature, les hommes se trouvent dans un état de guerre permanent. Le droit naturel se caractérise par une volonté continuelle de domination. Droit "sur toutes choses et même sur le corps des autres" et conduisant, de ce fait, à l’autodestruction. Il s’ensuit que le pacte d’association se présente comme la seule issue possible. Produit des volontés individuelles, le pacte est avant tout une découverte rationnelle.

 

II. Hobbes dégage deux lois de nature

a) Une première loi de nature : la recherche de la paix

"[…] il faut chercher la paix là où on peut l’obtenir, et il faut rechercher le secours de la guerre là où c’est impossible". Cf. De Cive, Chap. II, 2.

La préservation de sa propre vie rend nécessaire une organisation sociale, justifie l’existence d’une autorité souverain.

b) Une deuxième loi de nature : celle du consentement

Par le biais de ce pacte, toutes les parties contractantes (tous les hommes) abandonnent sans réciprocité tous leurs droits à un pouvoir souverain, absolu et illimité.

Hobbes : "que l’on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où on pensera que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu’on a sur toute chose ; et qu’on se contente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concéderait aux autres à l’égard de soi même".

Texte de Hobbes : Le commun consentement. :

 

L’État-Léviathan

Cf. Le livre de Job.

Léviathan est un monstre biblique. "Sur terre, nul n’est son maître".

Gravure, frontispice de Léviathan, 1651 :

 

État où les hommes sont soumis à une autorité souveraine. Le pouvoir de l’État consiste à rompre avec l’état de nature tout en maintenant la puissance de la peur (élément central reliant les passions à la raison).

Ce pouvoir coercitif (utilisant la contrainte), génère la crainte, "l’effroi" et permet ainsi de tenir tous les hommes au respect. La paix civile est donc acquise mais au prix de la servitude et de la soumission.

Remarque : la religion elle-même ne peut venir limiter la souveraineté. Le recours à des principes religieux transcendants pourrait, de nouveau, menacer cette paix civile. La soumission vaut pour tous.

Hobbes : "les conventions sans le glaive ne sont que des paroles, dénuées de la force d’assurer aux gens la moindre sécurité".

Cette puissance de l’État est nécessaire compte tenu de l’imprévoyance même des gouvernés incapables de se défendre contre des ennemis éventuels. Parallèlement, la puissance et la gloire des gouvernants résultent de la prospérité d’un peuple, de sa richesse économique.

Conclusion : le pacte social dérive d’une volonté raisonnable, pragmatique. Au droit naturel de chacun se substitue un droit limité par des devoirs. Pour Hobbes, l’homme ne naît pas "animal politique", il le devient par le pacte d’association. L’État-Léviathan est donc "un corps artificiel" ayant sa vie propre mais dont la puissance permet de faire disparaître l’insécurité et de diriger l’action des hommes "en vue de l’avantage commun". C’est une création de l’homme (et non de Dieu).