APPROCHE DE PASCAL

 

Sans le divertissement notre existence serait empreinte d’une bien sombre tristesse. Voyez. Quel goût pour les turbulences, les tourbillons ! Fantasque par nature, l’homme passe constamment d’une chose à l’autre. Nul arrêt pour enraciner sa raison dans la vérité. Il semble donc condamné à s’ignorer.

Notre malheureuse condition reste par là même tenue à distance ; si peu interrogée. Les ingénieuses ressources du divertissement dévorent toute notre vie. Le bruit, le mouvement, le jeu (toujours lui), le spectacle de nos passions suffisent chaque jour à nos plaisirs.

Travestir le ressentiment de sa misère ordinaire, voilà ce qui occupe l’homme. Nous retrouvons, ici, le sens premier de divertere. En latin , le besoin de s’arracher à la pensée de sa propre destinée. Si pressé de se divertir, autrement dit : essayant par tous les moyens de s’oublier. Tout se passe comme si l’agitation dans son artifice lui procurait une sorte d’apaisement, d’épuisement intérieur.

Mais cette agitation est plus ou moins secrètement voulue. Très souvent même, l’homme invente quelque nouvelle difficulté pour différer la rencontre avec soi-même. Pressentant qu’il ne peut tendre au bonheur par le repos, il met tout en œuvre pour faire scintiller cent projets. Son avenir devient savante composition ; il s’y transfigure.

Son existence l’ennuie. Et, le plus simple des plaisirs l’accapare. Il s’y applique. Livré tout entier au divertissement, il ne peut que se détourner de lui-même.

Le présent peut-il alors être confondu avec le seul temps de l’action. Peut-on continuellement s’échapper à soi-même dans la frénésie du jeu, dans l’excès de travail et, dans la consolante pensée de l’avenir…

L’homme ne pouvant se rendre immortel est renvoyé à lui-même. Son emploi ici-bas est de mettre toutes ses forces à repousser la pensée de la mort.

Le divertissement éclaire ainsi la vraie misère de l’homme puisqu’il est le plus subtil moyen pour accéder insensiblement à la mort : c’est-à-dire sans y penser. Pour se rendre heureux, l’homme s’oublie. Tragique méprise.

La pensée de la mort ne saurait se réduire à la simple méditation d’un péril particulier. La mort, en effet, déjoue toujours le cours ordinaire des choses. Sa soudaineté nous trouble, nous désempare. S'y préparer serait plus sage.

Le divertissement apparaît donc comme la plus vaine des précipitations. C’est là notre abîme, notre perte et notre calcul insensé.

Pascal n’a pas oublié les leçons de Montaigne :

Cf. Ces extraits :

“ La préméditation (1) de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. ”

1. Méditation anticipée

" Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvelles. Tout cela est beau. Mais aussi quand elle arrive, ou à eux, ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant en dessoude (2) , et à découvert (3) , quels tourments, quels cris, quelle rage et quel désespoir les accable ? Vites-vous jamais rien si rabaissé, si changé, si confus ? "

2. A l’improviste

3. Sans défense

" Votre mort est une des pièces de l’univers. "

Misère même de nos contradictions :

Nous sommes instinctivement portés hors de nous. Nous sentons que cette recherche du bonheur ne peut jamais se trouver exclusivement en nous-même.

Pascal s’oppose ainsi à la pensée Stoïcienne altière et parfois hautaine. Non, il ne s’agit pas de se retirer en soi-même, de se porter tout entier avec soi comme le préconisait Epictète ou Marc-Aurèle.

Pour Pascal, c’est en soulignant les aspects les plus haïssables du moi que nous pouvons retrouver Dieu.

Aussi " pour régler l’amour qu’on se doit à soi-même, il faut s’imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout. " Notre volonté particulière doit donc en cela se conformer à la volonté qui régit le corps dans sa totalité. D’où cette réponse surprenante mais très cohérente de Pascal : " le bonheur n’est ni hors de nous, ni dans nous ; il est en Dieu, et hors et dans nous. "

On consultera plusieurs extraits des Pensées (recueil de notes trouvées à la mort de Pascal en 1662)

Travail d’approfondissement : l’opposition stoïcisme / scepticisme sera réexaminée.