BEAUTÉ NATURELLE ET BEAUTÉ ARTISTIQUE

La notion de beauté, telle qu’elle est définie par Kant, est une tentative pour réconcilier la nature et l'esprit. On reprendra la relation entre beauté naturelle et beauté artistique.

1. La beauté naturelle

Beauté qui provoque notre étonnement en ressemblant aux productions de l'esprit. Beauté qui a, par là même, toutes les apparences de l'art. Nous sommes, en effet, très souvent portés à accorder une intention à la nature (elle semble l'avoir fait exprès...).

Exemples : les complexités graphiques des ailes d'un insecte, la diversité et l'éclat des couleurs pour les plumes d'un oiseau.

2. La beauté artistique

Beauté d’une œuvre réalisée par un artiste de génie et dans laquelle nous reconnaissons l’intervention de la nature (ce que la main de la nature lui a précisément prodigué). Beauté où intervient, autrement dit, un élément indépendant de l’esprit humain.

Rappel : le génie invente, sans en avoir véritablement conscience, ses propres règles ; il se surprend lui-même .Son talent profondément original, unique et exemplaire témoigne ainsi de ce primat de la nature sur l’esprit conscient de lui-même.

Pour la beauté naturelle, il y a un intérêt immédiat pour l’existence de la chose belle  (sans qu’il y ait pour autant attrait sensuel ou recherche de quelque fin). Nous contemplons simplement.

Exemple : " il n’est chose plus goûtée des poètes que le chant beau et enchanteur du rossignol dans un buisson solitaire par un calme soir d’été sous la douce lumière de la lune ". Kant.

Mais que se passe-t-il si nous apprenons qu’il s’agit d’une tromperie, d’une imitation réussie, celle d’un jeune espiègle ? Nous ne supportons pas d’entendre longtemps ce chant. Cette parfaite imitation devient insipide !

 


La contemplation de la nature nous donne – parfois – l’occasion d’éprouver un accord de l’imagination et de l’entendement. Le sentiment esthétique fait alors surgir, de manière imprévue, une harmonie
entre le sensible et l’intelligible, les images et les concepts.

Ces beautés naturelles sont dans l’histoire de l’humanité conçues et perçues assez tard. L’homme a longuement, en effet, été confronté à des impératifs de survie, à des nécessités pratiques difficilement contournables. Les principaux traits de cette nature sont :

La simplicité et la matérialité : c’est parce qu’elle est uniquement matière que la nature donne à voir tout ce qu’elle est.

La caducité : la nature présente de nombreux aspects transitoires et périssables .

Il s’agit, selon Kant, d’une beauté libre. C'est une beauté pure, existant par elle-même. Beautés naturelles qui nous sont données en regardant telle fleur, tel oiseau, tel crustacé et « qui ne se rapportent à aucun concept déterminé quant à sa fin par des concepts, mais qui plaisent librement et pour elles-mêmes ».

Cette beauté naturelle  dépourvue de tout aspect fonctionnel ne saurait être liée à l’utile. Nous sommes sensibles à sa plénitude, à son équilibre, à son harmonie interne (à l’accord des parties et du tout).

NB. A distinguer de la beauté adhérente  « attribuée à des objets compris sous le concept d’une fin particulière  ».

On peut cependant s’interroger sur la saisie du beau naturel.

Sa perception n’est-elle pas médiatisée par l’art lui-même et l’industrie de la reproduction ?

Nous retrouvons dans certains paysages parfois très fortes avec des productions artistiques reconnues, officialisées. Les modèles picturaux, impressionnistes ou cubistes par exemple, façonnent notre regard .Autrement dit, la perception du beau naturel n’est jamais immédiate mais relève d’apprentissages culturels.

Le regard européen découvre au XVIII e  siècle la " beauté " de certains paysages – on s’habitue à s’exclamer " C’est beau " à propos d’une vallée encaissée entre deux montagnes, de l’épaisseur d’une forêt ou du calme d’un étang – mais c’est parce qu’ils ressemblent à ce que la peinture antérieure a fourni comme modèles, et parce que La Nouvelle Héloïse a enseigné une correspondance possible entre les sentiments et certains aspects de la nature. En d’autres termes : pour une conscience encore préoccupée par les besoins de la survie, un paysage ne peut être ni beau ni laid, il est à parcourir comme territoire de chasse, à traverser pour se rendre dans un lieu consacré, à labourer pour assurer une récolte, etc. De la même façon, une symphonie n’est belle que pour qui se trouve, même élémentairement informé de ses principes ; faute de quoi on peut être ému par certains de ses passages, mais non par sa totalité.

Ed. Nathan2002.

 
                     Guiseppe Penone