DIONYSOS

 

Maître dans l'art des variations et du jeu avec les images

 

 

 

 

 

Dionysos est un dieu-enfant. Les Titans qui sont ses ennemis l’attirent avec un certain nombre de jouets : une poupée articulée, une toupie et un miroir et l’enfant prend ce miroir, se regarde dans le miroir. Et c’est parce qu’il est fasciné (par quoi ?) par cette espèce d’enfant qui est en face de lui, qui est lui-même mais qui n’est pas lui-même, qui est un reflet de lui-même que les Titans se précipitent sur lui et le coupent en morceaux, le coupent en rondelles, le mettent à cuire et le dévorent sauf le cœur qui sera, finalement, le moyen de le ressusciter. Et alors, à partir de cette histoire de ce jeune enfant divin qui représente d’une certaine façon, qui va représenter au terme de l’histoire la totalité de l’univers (l’univers revenu à l’unité primordiale) ce petit enfant se regarde dans le miroir. Il se dédouble, il s'objective et c’est à partir de cela que s’engage un processus à travers lequel ce qui était d’abord un et complet va se fragmenter, va se diviser et que le monde va se constituer dans sa multiplicité et dans ses apparences disparates.

Toutes ces histoires (celle de Persée et de la Gorgone, de Narcisse, de Dionysos) montrent bien que des problèmes qui pour nous sont encore des problèmes vitaux – le rapport de soi à l’autre, le rapport de l’un et du multiple, le rapport du réel et de son apparence, de ce qui est vrai et de ce qui est simplement un reflet du vrai – tous ces problèmes d’une certaine façon, sans être posés en termes philosophiques, sont présents chez les Grecs.

 

Jean-Pierre Vernant, Que serions-nous sans nos miroirs, Arte 13.01.1995.