Correcteurs, 
      corrections et correctifs 
Deux 
      ans seulement nous séparent du Bicentenaire du Baccalauréat et plus de 516000 
      copies de philosophie viennent d’être corrigées. Depuis 1960 le nombre de 
      candidats au bac a été multiplié par 10 et le taux de réussite dépassait, 
      l’an passé,  les 80 %. Reste à connaître les taux de réussite pour 
      le millésime 2006 et les moyennes académiques. 
Mais 
      n’allons pas trop vite. Les correcteurs doivent participer dans une prochaine 
      étape aux différents travaux de jurys. 
De 
      la correction : « parlons-en ! ». Ou ce qui revient 
      ironiquement au même : « n’en parlons pas ! ». 
Voilà 
      bien ce qu’insuffle la rumeur, insidieuse dans ses effets de boucle… Dans 
      le premier cas, il y aurait beaucoup de choses à dire et dans le second 
      autant de choses à revoir.
Que 
      dire d’autre ?
L’opération 
      de correction est toujours un temps fort* mais il serait réducteur de graduer 
      la difficulté de correction en fonction du seul jeu des séries (générales 
      ou technologiques) et par là même des coefficients (7, 4, 3 ou 2). 
Un 
      correcteur de philosophie ignore les exercices "à points". Il 
      ne note pas non plus un nombre d’idées par copie ! La dissertation 
      ou l’explication de texte ne sont pas faites pour être barêmées. 
      La conduite d’une réflexion (autrement dit le mouvement même de la pensée) 
      vise à constituer une unité organique, un tout organisé. Imaginez ce qui se produirait, si par aventure nous 
      nous mettions à évaluer, morceau par morceau, ce qu’a produit l’élève… 
      Autant recourir à des générateurs de QCM. Ils existent déjà en ligne ! 
      Des exercices à trous dits tests de connaissance qui asservissent l’esprit ; 
      tranquillisent la conscience et la rendent docile.   
      
Le 
      travail du correcteur est assez mal connu. Tentons d’apporter quelques précisions. 
      La période de correction n’est pas un exercice totalement solitaire. Heureusement ! 
      Il y a deux grands temps de concertation : le jour même de réception 
      des copies, se tient une commission d’entente qui réunit souvent 
      une quarantaine de collègues. Au cours de celle-ci, nous passons au crible 
      les difficultés inhérentes aux sujets, considérons les risques de digressions, 
      et les modes de réponse recevables.
Une 
      semaine plus tard a lieu une commission 
      d’harmonisation des notes. A partir des copies déjà corrigées, 
      nous procédons à la collecte des moyennes et prenons en compte les variations 
      de celles-ci ainsi que des médianes (ceci pour chacun des 3 sujets).
Nous 
      constituons, ensuite,  plusieurs groupes 
      de travail et débattons de la teneur des copies et de notre première évaluation. 
      Au cours de ce travail, un certain nombre de copies pouvant servir de repères 
      sont lues à voix haute et dans leur totalité. Le but poursuivi, dans ces 
      échanges, est de trouver sereinement des points d’accord et, éventuellement 
      de réajuster telle ou telle note. En fait, nous nous engageons dans une 
      discussion philosophique afin que nos copies reçoivent de mutuels éclairages. 
      
Indiquons, 
      parallèlement, que chaque correcteur dispose du droit absolu de conserver 
      les notes qu’il a attribuées et que chaque candidat peut demander à consulter 
      sa copie auprès de l’Inspection Académique. 
Mais 
      le correcteur de philosophie doit inlassablement faire face aux inepties 
      habituelles : « copie notée à la tête du client », « épreuve 
      loterie » ou  matière qui « ne sert à rien ». En forçant 
      un peu le trait, des correcteurs-machines qui 
      évalueraient de manière mécanique et aléatoire feraient tout aussi bien 
      l’affaire ! Tout ceci est absurde.
Cessons d’aboyer 
      (comme le dirait Sénèque) contre la philosophie.
Chaque 
      copie anonymée est annotée et fait l’objet d’une 
      appréciation. La copie fait-elle preuve d’une véritable rigueur dans l’argumentation, 
      d’un souci de problématisation ? Le texte (quand celui-ci a été choisi) 
      a-t-il été bien lu ? Les explications sont-elles pertinentes ? 
      Tel ou tel contresens a-t-il été évité ?
Si 
      le correcteur est celui qui évalue avec 
      pour seul souci l’équité, 
      comment dès lors expliquer que les correcteurs de philosophie traînent une 
      réputation de sévérité et de subjectivité dans leur notation ? Les 
      professeurs de philosophie, plus que d’autres, se tiendraient-ils emmurés 
      dans leur langage ; définitivement sourds à leur époque ? Confrontés 
      à l’expression écrite des candidats, ils n’auraient de cesse d’en dénoncer 
      la pauvreté, scandalisés par l’affaiblissement simultané de la forme et 
      du contenu ; la carence de la pensée ; les lieux communs.
Suffit-il 
      de découvrir que, dans une copie, Spinoza dans une vie probablement antérieure 
      est devenu un très grand penseur grec ! Suffit-il, là, de souligner 
      ces imparables lapsus : « Le dieu aux iris », « la chapelle 
      sixteen »… Bluffant non ! A faire hurler Lagarde 
      et Michard !! Suffit-il encore de se plaindre du manque de goût orthographique 
      et de se perdre en litanies !  
Non, 
      le correcteur en philosophie sait fort bien que chaque copie porte peu ou prou le reflet souvent 
      déstabilisant des contradictions culturelles, 
      sociales et politiques. Or c’est précisément à partir de ces 
      obstacles qu’il se doit d’élucider sa propre pratique pour proposer aux 
      élèves d’autres ouvertures sur le monde. D’où son refus à la fois de l’individualisme 
      ambiant et du relativisme généralisé. A charge pour lui, d’être un éveilleur de la citoyenneté et d’utiliser 
      toutes les ressources de la raison.
Nous 
      devons faire en sorte que l’année de philosophie permette à chaque  élève, 
      simple apprenti philosophe,  de faire sien ce propos de René Char : 
      « Émerge autant que possible à ta propre surface ». L’exercice 
      est difficile mais c’est bien là, l’enjeu. 
Pour 
      conclure, un correcteur de philosophie est toujours " entre la haie et le blé ", 
      toujours surexposé, toujours à découvert. Il doit ─ debout ─ s’y tenir. Je ne lui connais point de meilleur emploi. 
* 
      Le délai de correction en philosophie s’étend sur moins d’une quinzaine 
      de jours (14 exactement cette année pour notre Académie). Il n’augmente 
      donc pas bien que le nombre de copies dans certains paquets peut atteindre 
      130 (voire plus). 
Claude 
      Briantais, professeur de philosophie.